Partons de l'exemple de Magistrats et Manigances. Il y a une monnaie abstraite, les "points de Ren" qui se dépensent pour autoriser des relances ou activer des capacités spéciales. Chaque personnage a sa réserve de points de Ren qui commence à trois en début de séances et qui augmente quand les travers du personnage lui attirent des ennuis. Par exemple, un personnage dévot gagne deux points de Ren lorsque le prosélytisme de son personnage le place dans une position déplaisante.
Remarquez que cette monnaie n'essaye pas de simuler les règles physiques ou sociales du monde mais au contraire pousse vers une histoire intéressante qui suit les canons du genre. Réinitialiser la réserve à trois points en début de séance pousse à tout craquer en fin de séance pour amener une apothéose satisfaisante. Pour regagner des points de Ren, il faut jouer les défauts de son personnage qui correspondent au canons du genre. En particulier il faut les jouer au delà du raisonnable du point de vue du personnage. Le joueur est incité à mettre son personnage en mauvaise posture ce qui rend l'histoire plus intéressante. Enfin, dépenser ses points de Ren permet d'augmenter ses chances de réussite. Les probabilités tournent en notre faveur, non à cause d'une raison interne à la fiction (le personnage est en position de force) mais parce que joueur a décidé que l'enjeu de cette action était trop important pour qu'elle soit perdue.
Il est intéressant de comparer cette monnaie avec celle de Space Rônin, un jeu inspiré de Cowboy Bebop en cours de préparation par Frédéric Sintès. La monnaie est une jauge de satiété qui comporte trois crans et commence à zero en début de séance. Le système de résolution de conflit est tel que les chances de succès des PJs sont normalement minces. Utiliser un niveau de satiété est souvent le seul moyen de réussir sans trop de casse. Pour remplir sa jauge, un seul moyen : laisser libre cours aux mauvais penchants de son personnage. Le joueur laisse le volant de son personnage aux mains du MJ qui va le faire aller vraiment très loin, se mettre très en danger. Par exemple un personnage curieux va monter en cachette à l'arrière d'un fourgon, qui sort de la ville, s’arrête en plein désert, deux mafieux ouvrent les portes et pointent leurs armes sur le passager clandestin ... STOP ! Je reprends le contrôle. Avec une jauge pleine et donc la puissance de feu pour sortir avec brio de la situation délicate. Mais le système a aidé les participants à créer cette situation qui fait avancer l'histoire.
Les monnaies d'échange de M&M et Space Rônin sont très similaires. Elles récompensent les travers des personnages et les aident à réussir les actions qui en valent la peine. Par contre on voit bien que les détails de comment la monnaie est gagnée, stockée et dépensée changent la dynamique du jeu.
Troisième exemple de monnaie dans le jeu Prosopopée, également de Frédéric Sintès. Si les autres participants trouvent que j'ai décris quelque chose qui leur plaît, ils prennent un dé dans un bol au milieu de la table et me le donne. Ce sont ces dés qui me permettent de résoudre des actions. Dans ce jeu, ce n'est pas jouer les travers de son personnage qui est récompensé, c'est décrire ce qui plaît aux autres. Comme la narration est très libre et ouverte, cette monnaie permet de rapidement savoir quel genre d'histoire les participants veulent construire ensemble.
On voit avec cet exemple que la monnaie d'échange ne vient pas forcément récompenser de jouer son personnage suivant un canon. Plus généralement, la monnaie défini sur quels termes interagissent les différentes sous-parties du système de jeu et donc ce qui est important dans le jeu.
Comme je m'appuie sur le système de résolution de M&M, je suis bien obligé de garder une monnaie d'échange qui s'utilise comme les points de Ren. Appelons-les points de Ka. Mais comment sont-ils stockés et comment sont-ils gagnés ?
Est-ce que je veux récompenser le fait de bien jouer son métamorphe ? Ou d'avoir les travers de son arcane majeur ? Mon essai avec le Chariot ne m'a pas vraiment convaincu de poursuivre dans cette direction. De plus, d'expérience, aucune récompense n'est nécessaire pour que les joueurs de Nephilim jouent leur métamorphe et opposent leurs opinions sur toutes les lignes de clivages ésotériques. A bien y réfléchir, les humeurs qui s'opposent deux à deux et la structure des arcanes avec leurs opinions très tranchées sur des points hermétiques aux profanes (pour ou contre l’initiation des humains, simulacre véhicule ou partenaire, pureté ou bestialité, faut-il être dieu ou prophète, etc.) font naturellement émerger ces débats qui font le sel de Nephilim. C'est une propriété émergente, un vide fertile, à cultiver sans la piétiner avec avec règles trop directives.
Récompenser une belle théorie serait, de la même façon, piétiner le vide fertile de M&M qui laisse émerger des hypothèses qui finissent par converger sur la résolution d'une enquête (ici d'une énigme).
Une possibilité serait d'aller renforcer le concept de corpus documentaire. Pour mémoire, il s'agit de documents réels qui servent à encrer le jeu dans notre monde profane : coupure de journal, site internet, photographie, guide touristique, dictionnaire des symboles, etc. J'ai pour l'instant lancé sans la développer cette idée qui est à mon avis une originalité forte de Nephilim, du moins tel que pratiqué à mes tables. A l'époque, c'était le MJ qui fournissait les éléments du corpus la plupart du temps, même s'il est arrivé à des joueurs de contribuer. Là j'aimerai bien quelque chose de plus participatif. Et donc de récompenser par des points de Ka la participation au corpus.
Comment participer au corpus ? D'abord, en abondant des documents, soit physiquement (ce qui demande une préparation) soit électroniquement (ce qui demande une connexion internet). Ensuite, en tirant du corpus des symboles qui serviront à l'enquête. Enfin interpréter ou faire le lien entre des symboles issus de l'enquête grâce au corpus. On peut imaginer recevoir 1 point de Ka par document abondé au corpus, 1 point de Ka par symbole extrait du corpus et 1 point de Ka par lien effectué grâce au corpus. Comme c'est un système tout nouveau, je vais avoir besoin de le digérer et de le tester en situation réelles.
En poursuivant un fuyard, les PJs pénètrent dans une église rupestre, "Saint Jean sous la montagne". Le joueur Antoine se saisit du guide touristique de la région et note que l'église est connue pour une fresque représentant Saint Jean en compagnie d'un corbeau au lieu d'un aigle. C'est un symbole qui rapporte 1 point de Ka. Il recherche sur internet jusqu'à trouver une photo de la fresque, ce qui rapporte un second point. Pendant ce temps, la joueuse Marie lit l'article "Corbeau" du dictionnaire des symboles et note que le corbeau est un symbole important pour les alchimistes, or ils sont sur les traces d'un alchimiste qui vivait là au moyen-âge. Cela fait un troisième point de Ka. Devant cette accumulation de symboles, et comme l'église est déserte, Marie fait passer sa Nephila en vision Ka pour en apprendre plus sur la nature magique de la fresque.Maintenant qu'on a des points de Ka, où les stocke-t-on ? J'ai du mal à imaginer une jauge finie comme dans Space Rônin. On pourrait avoir une réserve pour chaque joueur initialisée à 3 points comme dans M&M. Ou alors, on pourrait avoir une réserve commune qui symbolise le lien magique qui unit les PJs. Cette réserve commune serait initialisée à 1, 2 ou 3 points de Ka par joueurs suivant à quel point on veut inciter les joueurs à participer au corpus.
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