samedi 7 mars 2020

Jacques a dit : on recommence

Assumer le simulationnisme

Après dernier billet assez défaitiste, j'ai eu la chance de pouvoir discuter avec Frédéric Sintès qui m'a bien remis sur les rails.

J'avais décidé de revenir à mon intention initiale
Formaliser, moderniser et transmettre une pratique qui existait à mes tables de Nephilim entre 1998 et 2005, malgré les règles de l'époque.
Frédéric m'a aidé à prendre conscience que cette pratique avait une proposition créative simulationniste. Ce gros mot - qu'on s'autorise à utiliser entre concepteurs de jeux de rôle avertis et consentants et uniquement pour parler de la proposition créative d'un jeu - indique qu'on se réfère à un canon (d'esthétique, d'univers, de personnages ou de règle). En l’occurrence, mon canon c'est l’ésotérisme à la Nephilim, l'occulte contemporain. C'est un canon de type de personnage dans un type d'univers vivant un type d'histoire, clairement pas un canon de règles.

Or, ce type de proposition créative se heurte à des règles trop voyantes. Plus les règles sont voyantes, plus elles risquent de heurter le canon perçu par les participants.
J'ai conçu mon personnage comme un maître alchimiste, pourquoi est-ce qu'il n'arrive pas à lancer une formule ?
Comment ça se fait que mon être millénaire soit mort en descendant un escalier ?
Pourquoi j'ai besoin de résoudre un rite en tirant des cartes de tarot pour faire une enquête alors que tu viens de me filer cette aide de jeu que je peux bien lire et comprendre tout seul ?
Attend ... c'est la même difficulté pour sauter d'un avion en flammes et pour éviter de me faire griffer le visage par mon crush jaloux ?
D'ailleurs, ma pratique de Nephilim consistait à laisser tomber la plupart des jets de dés et à me remettre au jugement du MJ. Dès que nous revenions à l'aléatoire nous étions déçus, toutes éditions confondues.

J'en suis donc venu à l'idée qu'il fallait pour Nephiloth des règles de résolution très simples, sans aléatoire, basées sur la cohérence de l'univers et de l'image que la table se fait des capacités des personnages. La complexité du système est ailleurs :
  • dans la création et description des personnages qui établit cette cohérence
  • dans les règles qui aident le MJ à créer des canevas intéressants pour y lâcher ces personnages.
  • dans les tables et questions orientées qui donnent la couleur de l'univers (au lieu de longs textes qui figent un univers officiel)

Symboles ou rituels ?

Une seconde discussion, avec Marc Zagul, m'a lancé sur une piste intéressante pour décrire les personnages. Marc a établi son propre système de jeu pour Nephilim dont je ne cite que l'élément qui m'intéresse :
En gros à chaque fois qu'un Nephilim acquiert une connaissance ou une capacité, la joueuse doit choisir un symbole pour représenter cela, et pour "valider" l'acquisition dans son pentacle elle doit associer ce symbole à un symbole déjà présent dans le pentacle via une analogie. A chaque fois que la connaissance ou la capacité entre en jeu, le symbole doit intervenir dans ce que raconte la joueuse.
On a donc un système de traits (comme dans Dogs in the Vineyard, Démiurge, Polaris, etc.), mais pour qu'un trait soit mis en jeu, il faut que le joueur introduise dans sa narration le symbole qui y est associé. Ça résout un peu un défaut des jeux à traits où tout est bon pour tordre les circonstances pour faire intervenir un trait.

J'ai trouvé ça très séduisant sur le moment. Mais en y réfléchissant un peu plus, ça m'a posé deux problèmes. D'abord, dans le dernier test de Nephiloth, il a été difficile de transmettre ce que ça voulait dire d'introduire un symbole dans sa narration. Le concept semble difficile à saisir et peut assez rapidement être pris à la rigolade.

L'autre problème vient d'anciennes discussion avec Félix kF sur le jeu de rôle symboliste. Il y a une différence de nature entre la symbolique importée et la symbolique interne. La symbolique importée c'est celle qu'on trouve dans le dictionnaire des symboles, qui existe en dehors du jeu et que le jeu ne fait qu'exploiter. La symbolique interne ce sont les sens dont se chargent un symbole pendant le jeu lui-même, les liens entre symboles qui s'établissent pendant la partie. La clé des nuages incite à l'élaboration d'une symbolique interne en forçant une poignée de symboles à revenir, mais aussi en interdisant d'expliciter leur sens jusqu'à la fin de la partie. Au contraire, lier un symbole à un trait lui donnerait une signification une fois pour toute. La symbolique est condamnée à être importée, il sera difficile de faire fleurir la symbolique interne.

La solution à ces problème m'est venue en écoutant le podcast de la cellule sur les Jardins des esprits. Les participants de ce podcast parlent des rituels et rappellent à quel point ils sont importants autant dans un contexte social, anthropologique, qu'ésotérique. Et c'est cohérent avec mes anciennes pratiques à Nephilim (autour des sciences occultes notamment) où les rituels étaient joués et leur qualité déterminait grandement la réussite des actions. Ce jeu est ritualiste autant qu'il est symboliste. Ce n'est pas pour rien que j'avais déjà appelé les manœuvres des versions précédentes des rites.

Mon idée est donc d'associer un trait, non pas à un symboles, mais à un rituel.

Ainsi, un hôte passé est modélisé par un trait. Accomplir un rituel caractéristique de cet hôte fait remonter ses souvenirs et ses compétences dans la mémoire de la Nephila et les rend utilisables au présent. Par exemple, le trait "hôte : prêtre Aztèque" est associé au symbole "écorcher mon lobe d'oreille pour offrir mon sang". Si la Nephila doit déchiffrer un codex Aztèque, il vaut mieux qu'elle mobilise son trait en effectuant le rituel associé. Le rituel associé à un hôte est a priori un geste simple, peut-être quotidien, sûrement appris lors de ses années de formation. Peu importe que la cuisinière d'Henry IV soit devenue l'éminence grise du roi, le rituel qui la défini le mieux est encore de se laver les mains avant d'agir.

Les rituels associés aux traits de pratiques magiques sont sûrement plus complexes. Peut-être faut-il des ingrédients, des incantations, des circonstances particulières. Je dois encore creuser la question.

J'ai donc une façon de décrire un personnage : des traits (liés à des rituels) qui correspondent à ses incarnations passées et à ses pratiques magiques. Il faudra mettre au point une création de personnages (pas trop longue) qui permette de remplir quelques traits avant de commencer à jouer. En cours de jeu, il sera possible d'ajouter de nouveaux traits en se remémorant des épisodes passés (mnémos).

Les symboles, eux, sont plutôt du ressort du MJ. Lors de sa préparation, le MJ détermine une poignée de symboles. Pendant le jeu, il doit introduire dans toutes ses narrations au moins l'un de ces symboles. Interdiction d'en dévoiler directement le sens, pour que les joueurs puissent s'en emparer.

Jacques a dit ...

Comment forcer les rituels à venir en jeu ? Vincent Baker dirait qu'il faut un IIEE avec des griffes. En clair, il faut que celui qui décide des conséquences l'action (ici le MJ) ait besoin de savoir si le rituel a été fait ou pas pour statuer.

Ma première idée a été une sorte de "Jacques a dit" inversé : si l'action a besoin d'un trait et si le joueur a évoqué le rituel dans sa narration, alors le MJ juge l'action réussie. A l'inverse, si un trait est nécessaire mais que le joueur oublie de l'évoquer, le MJ annonce "tu as oublié le rituel" ("je n'ai pas dit `Jacques a dit'"), plus moyen de revenir en arrière et l'action est ratée. C'est un peu punitif.

J'ai donc adouci ce premier jet en liant la narration du rituel non pas à la réussite de l'action mais à l'absence de complications. Si le joueur a oublié de narrer le rituel, le MJ annonce "tu as oublié le rituel, plus moyen de revenir en arrière, et l'action réussit mais avec des conséquences négatives.

Je vois deux obstacles au bon déroulement de cette procédure. D'abord, le MJ doit se souvenir des rituels de tous les traits de tous les personnages pour pouvoir détecter qu'aucun rituel n'a été effectué. Ce n'est pas évident si les rituels sont notés uniquement sur les fiches des joueurs. Ensuite, s'il est évident que l'action nécessite un trait, le joueur va regarder sa fiche de personnage et juste à côté du trait il va lire le rituel. A moins d'être très étourdit (ce qui reste possible), le joueur ne peut pas oublier d'évoquer son rituel.

La solution à ces deux problèmes m'a été fournie par Laurence, qui se reconnaîtra. Il suffit que le MJ soit le seul à noter les rituels des personnages. Se souvenir du rituel associé à un trait demande un effort de mémoire au joueur. Ça tombe bien, ce jeu parle de personnages à la mémoire défaillante. Le joueur peut demander au MJ de lui rappeler un rituel, mais seulement après un oubli qui a engendré des complications.

Alors, la résolution ça donne quoi ?
  • Le joueur décrit ce qu'il veut faire (Intention)
  • Le MJ détermine un niveau de difficulté et l'annonce :
    • Profane : aucun trait nécessaire pour réussir, aucune complication possible.
    • Apprenti : aucun trait nécessaire pour réussir, mais un trait évite les complications
    • Compagnon : trait nécessaire pour réussir, le rituel évite les complications
    • Maître : rituel nécessaire pour réussir. Complications obligatoires.
    La plupart des actions intéressantes seront au niveau Apprenti ou Compagnon.
  • Le joueur décrit ce qu'il fait (Initiation, Exécution)
  • Le MJ juge si le rituel a été accompli et décide de la réussite et des complications. Le joueur peut étoffer la narration, mais le MJ a le dernier mot. (Effet)
J'ai réintroduit une difficulté (élément essentiel pour qu'on sente la cohérence du monde). C'est à peine plus formel que les règles implicites que j'utilisais autrefois à Nephilim, donc ça remplit le cahier des charges.