dimanche 18 février 2024

Manifeste du 90SR

Cet article est une réécriture d'une série de pouets sur Mastodon.

90SR c'est bien entendu un jeu typographique sur l'OSR, old school renaissance. Mais là où l'OSR a pour référence la première édition de DnD et essaye d'y revenir avec tous les acquis théoriques et pratiques récentes, le 90SR à pour référence les jeux de rôle des années 1990, des 90's.

La référence : notre façon de jouer aux jeux des 90's

Les jeux phares de ces années là avaient des montagnes de lore, des créations de perso à rallonge, des metaplots et des systèmes de jeu pas du tout focalisés sur leur propos. Vampire la Mascarade a probablement été le premier, mais il y en a eu tant d'autres, dont Nephilim.

En pratique, comment jouait-on à ces jeux là ? Pour ma part, en oubliant 99% des règles après la première séance. Et très vite, le lore officiel devenait une inspiration parmi d'autres. Finalement la création de personnage était souvent l'épisode le plus inspirant de tout le matos officiel et je m'arrangeai pour créer au fur et à mesure un univers centré sur les PJs.

Le 90SR c'est assumer cette méthode pour faire de ces jeux pétés des expériences ludiques modernes où la narration est partagée.

Un jeu de rôle qui fait très bien du 90SR ? Trip to Skye de Romaric Briand

Un univers riche, mais défini par des axiomes plutôt que par une encyclopédie.

Des secrets, mais dont les PJs sont partie prenante. Et le but est de les révéler, pas de dormir dessus.

Le système a un propos narratif, avec du drama encodé dedans, et la condition très particulière des PJs au cœur de ce propos. (On a encore simplifié le système pour notre campagne, mais on a gardé ce qui servait le propos).

Origine du terme, la vision de JC Nau

Le terme 90SR est apparu dans une discussion avec JC Nau, à propos de ce qu'il recherche dans sa pratique de Vampire la Mascarade (voir la campagne enregistrée sur 2D6+Cool) et qui a résonné très fort avec ce que je recherche dans Nephiloth.

Il y a dans les jeux à univers des 90's une base beaucoup trop riche, des PJs trop construits, qui permettent d'aller chercher autre chose que dans les jeux de rôle hyper affûtés et focalisés où tout se construit au fur et à mesure à partir d'une référence culturelle commune.

Les PbtA c'est super, les jeux forgiens hyper focalisés c'est super, mais ça produit rarement cette sensation de surcharge inspirante, ou celle d'un univers solide, pleins de secrets à découvrir.

Les travers à éviter

Contrairement aux jeux écrits dans les années 90, on veut éviter

  • du metaplot qui fait sa vie sans les PJs
  • de la narration cadenassée par le MJ
  • un système de résolution qui n'a pas digéré son héritage du wargame
  • etc.

Il y a sûrement plusieurs façons d'y arriver et ce manifeste du 90SR ne prétend pas être exhaustif.
 

Le 90SR c'est être moderne, à la pointe

20 ans après Polaris, 15 ans après Apocalypse World et Prosopopée, 10 ans après Swords without Master, 5 ans après For the Queen et La clé des nuages, nous avons l'expérience des jeux à large partage de narration. Nous savons créer des système de jeu très simples, qui codifient la conversation tout en encourageant le partage de narration. Reste à en créer qui se soient pas trop focalisés pour permettre l'exploration de monde riches et pleins de mystères.

Les secrets

Dans les années 90 on jouait à secrets fermés, c'est à dire que le MJ avait ses secrets, chaque joueur avait ses secrets partagés avec le MJ. Ces secrets étaient préservés grâce à des apartés. Quand un personnage était seul, son joueur joueur jouait sa scène seule avec le MJ, de peur que les autres joueurs apprennent des choses que leurs personnages n'étaient pas sensé connaître. Un "bon" joueur se bouchait les oreilles pour ne pas entendre, un "mauvais" joueur faisait du "métajeu" en faisant agir son personnage en fonction d'informations connues uniquement du joueurs et pas du personnage. On avait même une expression pour mépriser cette pratique : "métajeu, mais ta gueule !"

Mais depuis 20 ans, la pratique du jeu à secrets ouverts s'est répandue, notamment via les PbtA. Toute la table assiste à toutes les scènes. Dès la création de personnage, toutes les participantes savent tout des personnages des autres. S'il y a des révélations ce sont des improvisations qui surprennent souvent autant la joueuse qui révèle que les joueuses qui assistent à la révélation. On fait non seulement confiance aux joueuses pour gérer elles-mêmes les connaissances de leur personnage, mais en plus elles peuvent décider de mettre en scène le moment où leur personnage va apprendre une information. L'ironie dramatique, fait partie du fun. Faire que son PJ dévoile involontairement au moins partiellement un secret fait partie du fun. Blanchir une information (faire agir son PJ pour que par hasard il apprenne ce que la joueuse sait) fait partie du fun.

Pour le 90SR je pense qu'un mélange entre les deux mode est très fertile. Par exemple dans Trip to Skye chaque PJ est créé en duo avec le MJ. Chaque PJ a son propre point de vue sur l'univers. Certains aspects du monde vont de soit pour un PJ, mais sont totalement inconnus du reste de la table, au moins au début du jeu. Il suffit qu'une joueuse fasse agir son PJ en fonction de ce qu'il sait, en connivence avec la MJ, pour que ce "secret" vive et fasse partie de l'expérience de jeu de tous, avec l'envie de savoir ce que ça implique.

Mais tout ce qui se joue pendant les séances communes est public, connu de tous.  Les secrets dévoilés à la table de jeu s'ouvrent. Sur ces secrets déjà entrés en jeu, l'ironie dramatique, et le blanchiment d'information font partie du fun de toute la table. Et la joueuse n'est pas là pour garder ses secrets à tout prix. Une bonne part de son fun est de les faire pré-sentir, de les révéler par petit bout, que ça soit volontaire ou non de la part du personnage. Et la MJ est là pour donner les occasions aux personnages de révéler leurs secrets, pour donner du poids aux secrets avant leur révélation, pour aider à créer des liens. 

La MJ est aussi là pour gérer ou générer des secrets et des mystères à la périphérie de ce que les personnages perçoivent, à les faire pressentir et à faire survenir des situations où ils pourraient être révélés.

Le rôle de la MJ est essentiel pour la solution qu'on a trouvé. Est-ce que d'autres solutions existent pour faire du 90SR sans MJ ? Sûrement, mais je ne les ai pas encore trouvé/expérimenté.

Magistrats et Manigances est-il 90SR ?

Peut-être. Le système est simple, mais pas trop focalisé. Il a un propos : l'enquête émergente. Le partage de la narration est large (encore élargi à notre table). L'univers (le district de Sanghuang) est riche et complexe avant même que les PJs existent. Certains secrets sont déjà posés, d'autres émergent autour des PJs. Les secrets des PJs sont clairement ouverts (l'ironie dramatique depuis 9 séances sur la double identité du Dr Yi/Mlle Yi).

Nephiloth sera-t-il un jeu 90SR ?

Assurément

1 commentaire:

  1. "du metaplot qui fait sa vie sans les PJs" : J'aurais plutôt dit "du metaplot qui fait sa vie sans impact sur les PJs et sans qu'ils n'aient prise dessus". Dans le sens où ce n'est pas forcément un défaut que le metaplot avance si les PJs n'agissent pas (à condition bien sûr d'avoir donné un minimum de moyens d'action au départ)

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