lundi 15 août 2022

Activité dans les incarnations passées et point méthode : écrire de longues tables

Au cours de la campagne de Nephiloth jouée en 2021-2022, on a eu de nombreuses fois à improviser ce qu'une Nephila pouvait bien faire à une époque donnée. 

  • Quelle était ta quête à l'époque des croisades ?
  • Qui pouvait bien t'en vouloir à Constantinople ?

Avec juste des connaissances superficielles et wikipédienne sur l'époque en question, et sans histoire invisible pré-déterminée, c'est un exercice qui peut être difficile et en tous cas qui prend du temps. Quand on connaît bien Nephilim, on trouve assez vite que pendant l'entre deux guerre un Neph du Chariot devait présenter au monde des inventions en avance sur leur temps. Mais là je me pose le problème inverse : comment encoder cette connaissance de façon à ce qu'elle soit utilisable sans connaître Nephilim. Ca aide à transmettre le canon esthétique à la meneuse comme aux joueurs. Et si les joueurs peuvent s'emparer eux-même du canon esthétique pour faire leur sauce, on gagne en agentivité.

Vers la fin de la campagne, j'ai eu l'idée de pré-écrire des prompts pour chacun des trois PJs qui dépendaient du type d'époque. Pour mémoire, j'ai défini quatre types d'époque en fonction du rapport que les humains y entretiennent avec les Nephiloth et la magie.

  1. Guerres élémentaires : Les humain sont soumis, guidés ou révoltés contre les Nephioth
  2. Grands compromis : Les humains acceptent la présence des Nephiloth à leurs côtés comme dieux ou héros.
  3. Hermétisme : Les humains sont divisés entre les initiés et les profanes qui croient aux miracles.
  4. Guerres secrètes : Les humains pensent avoir quitté l'âge du merveilleux, des légendes et des superstitions, mais certains savent.

Tous les personnages ne vont pas faire la même chose à la même époque. Je vais laisser le joueur interpréter lui-même l'influence de l'archétype de la Nephila. La personnalité de son personnage c'est son rayon. Par contre je peux amener beaucoup de germes d'univers en définissant des activités typiques pour un arcane majeur donné. Ainsi, le Chariot dans une époque de type Guerres secrètes aura les propositions suivantes:

  • Mes machines merveilleuses font rêver les foules.
  • Mes inventions ne doivent pas tomber entre de mauvaises mains.
  • Si les puissants m'écoutaient, je pourrais améliorer l'existence de tous.

Alors que dans le même type d'époque, la Papesse aura

  • Mes explorateurs me rapportent des artefacts du monde entier.
  • Je tente de préserver une culture que la modernité efface.
  • Je retrouve les traces d'une civilisation disparue grâce à des techniques modernes

A chaque fois, je propose trois idées qui peuvent être combinées ou non. Ce ne sont pas des listes exhaustives, mais des points de départs de réflexion. Et lors de nos dernières parties ça a bien aidé.

J'ai donc pu tester cette idée avec trois PJs, ce qui m'a fait écrire 3 propositions X 4 époques X 3 PJs = 36 propositions. Bien. Maintenant si je veux étendre le concepts à tous les personnages possibles, il faut que je couvre les 22 arcanes majeurs, soit 3x4x22 = 264 propositions. 😓

Ca ne va pas être une mince affaire, donc il va falloir de la méthode

Point méthode: écrire de longues tables

Pour remplir cette table, il va me falloir beaucoup d'idées, au moins 12 par arcane, soit 264. Donc il faut que je puisse les attraper partout et n'importe quand. Je dois aussi pouvoir les modifier facilement.

Je me suis donc créé un tableur sur cloud (Google Calc) que je peux voir et éditer sur ordinateur comme sur smartphone, et qui m'offre un historique des modifications, la synchronisation entre plusieurs appareils et la modification hors connexion. 

Mon tableau fait 22+1 lignes et 12+1 colonnes. Les +1 c'est pour les titres des types d'époques et des arcanes. J'ai figé les volets pour que ces titres soient toujours visibles. J'ai redimensionné les colonnes pour pouvoir en voir un peu plus de deux sur l'écran de mon smartphone orienté vertical (largeur de 135 sur Gcalc). Je peux caser ≈21 caractères dans cette largeur. Sur tout les cellules, j'ai activé le retour à la ligne automatique et fixé l'alignement en haut. Avec ces réglages, sur smartphone je peux éditer une case tout en voyant ses voisines. Je sais où je suis dans le tableau même sur ce petit écran.

Bien sûr pour les lissages et remaniement d'ensemble je serai mieux sur ordinateur. Mais pour noter rapidement une idée le smartphone suffit.

Je me suis aussi donné comme contrainte que chaque case fasse au maximum 4 lignes. C'est 84 caractères maximum, mais souvent moins à cause de longs mots. C'est un exercice de concision et de haut potentiel ludique. Au premier jet, je vais rarement respecter la contrainte des 4 lignes. C'est pas grave. Je valide la case pour pouvoir revenir en arrière si besoin. Est-ce qu'il y a deux idées que je peux séparer sur 2 cases ? Si non, comment être plus concis ? Je teste des tournures différentes.

Grâce à cette méthode je peux écrire dans un métro bondé, au sortir de la douche, ou quand l'ennui d'un long trajet en tant que passager fait divaguer mon esprit.

Avec une bidouille de programmeur, je peux même générer directement un PDF contenant les 22 livrets d'arcanes mis en page en utilisant le tableur comme une base de données. Ainsi, si je veux faire apparaître les entrées de ma table à plusieurs endroits dans mon document final (par exemple une vue par type d'époque et une vue par arcane, ou juste la liste des arcanes sans le détail) je n'aurai pas besoin de recopier. Et surtout, si je corrige dans le tableur ça se répercute partout de façon cohérente.

Mais même sans cette bidouille, vous voyez l'intérêt de ce méthode pour remplir une longue table.

Bien sûr, si je bousille mon tableur je perds tout, d'où l'importance de l'historique de Gcalc et la nécessité de sauvegardes manuelles de temps à autres.

Bon, je m'y remet, j'ai encore 143 demi-dalles à balayer.



samedi 6 août 2022

L'enquète vue par le prisme du Modèle Analytique de la Narration Naturelle

Ces derniers temps, kF met en forme un modèle théorique pour décrire le jeu de rôle. Tout le monde ne lira pas tout, mais je trouve très accessible son dernier article sur la solidité par la confiance. Elle y développe entre autre l'idée que l'impression de solidité dans l'enquête improvisée est basée sur une forme de confiance. Comme tout ce qui touche à l'enquête ± improvisée m'intéresse particulièrement, je vais essayer d'applique le prisme du Modèle Analytique de la Narration Naturelle (MANN) à diverses formes d'enquête improvisée.

Façon Appel de Cthuluh

Le MJ dispose d'un scénario écrit à l'avance qui décrit les faits et les indices : Qui est la victime, comment s'est passé le meurtre, qui est le meurtrier, pour qu'elle raison, qui est sa complice malgré elle, quels indices mènent à elle, mais quels autres indices laissent penser qu'elle n'a pas agit seule, comment réagira le vrai meurtrier quand on trouvera le livre impie dans sa bibliothèque. 

Dans ce cas, la solidité perçue par les joueuses repose sur la confiance qu'il existe cette préparation qu'elles peuvent sonder de toutes les façons disponibles à leur PJs.

Le problème c'est que si la meneuse suit à la lettre cette préparation, et qu'aucune joueuse n'a l'idée de regarder dans la bibliothèque, et bien il n'y a aucun moyen de faire réagir le vrai meurtrier.

Façon Magistrats et Manigances/indices improvisés & faits connus

Le MJ dispose d'un scénario qui décrit les faits et leur logique, mais pas les indices. La meneuse improvise des indices qui correspondent à la direction dans laquelle les PJs cherchent.
- Est-ce qu'il y a un cours d'eau à proximité du corps ?
- Heu… oui, un ruisseau à une centaine de mètres
- J’inspecte minutieusement les berges
- Et bien … Tu trouves l'empreinte d'une bottine de femme à côté d'une chaussure d'homme
- Mais ! Ça ne peut pas être Marie-Christine qui a laissé les deux empreintes ! 

Dans ce cas, la solidité perçue par les joueuses repose sur la confiance qu'il existe une logique derrière les indices improvisés. Il est possible aux joueuses de sonder cette logique de toutes les façons accessibles à leur PJs, et probablement de façon moins frustrante que dans le dispositif AdC où les indices sont immuables.

Je remarque qu'il y a une complicité entre la joueuse et le MJ dans l'improvisation d'un indice. L'indice est co-construit à partir des idées de la joueuse, des capacités de son personnage et de la préparation de la meneuse.

Façon Magistrats et Manigances/faits improvisés

Le MJ ne dispose que d'une situation de départ et quelques indices pour lancer l'enquête. Les faits sont à improviser au fur et à mesure par la meneuse avec quelques coups d'avance sur les joueurs. 

Dans ce cas, la confiance est renégociée à chaque fois que la meneuse improvise de nouveaux faits. C'est un mode qui peut être très plaisant pour tout le monde grâce à la tension de la cohérence retrouvée ressentie également par la meneuse. Mais elle doit tout le temps jouer l'équilibriste pour construire des indices et des faits tout en conservant la confiance des joueuses.
J'imagine qu'il faut avoir des référentiels de cohérence bien alignés pour que ça marche, mieux alignés que dans les autres modes.
J'ai l'impression que dès que la confiance vacille on peut passer de la complicité à la compétition, avec les joueuses qui cherchent à trouver la faille, ce qui tue le plaisir de tout le monde.

Lors d'un test récent de Nephiloth j'ai réussi à mettre en place un dispositif de jeu similaire. A mon avis l'une des raisons qui a fait que ça a été fonctionnel c'est que j'ai délégué au coup par coup beaucoup d'autorité à telle ou telle joueuse sur un décors qu'elle avait souhaité ou une situations. Quelque part, ça renforce la complicité et ça aide au sentiment de co-construction. Par contre je pense que la sensation d'avoir découvert un mystère a été moins forte pour les joueuses. Peut-être qu'elle a été diluée à chaque étape de la co-construction plutôt que concentrée à la fin.

Façon Brindlewood bay

Le MJ dispose d'une situation de départ, de PNJs, d'indices flottants mais ne connait pas les faits. Là où les PJs cherchent, la meneuse leur fait trouver un des indices flottants. Par exemple si les PJs cherchent sur le corps du noyer, le MJ choisit de leur fait trouver une boucle d'oreille en diamant. Mais s'ils avaient cherché sur la plage ils l'auraient trouvé sous un rocher, à moins que le MJ décide que parmi sa liste, trouver une montre en avance de 2h serait plus logique/sympa/intéressant/cohérent. Oui, je ne sais pas du tout qu'est-ce qui fait que le MJ décide de poser un indice plutôt qu'un autre à part 🪄  cohérence 🪄 

Suivant les parties que j'ai jouée ou écoutée, j'ai vu des meneuses qui acceptaient de détailler l'indice trouvé (il y a la marque d'un bijoutier de la ville sur la boucle d'oreille) ou non.

Dans tous les cas, ce sont les joueuses qui sont chargées en fin de séance de rendre cohérent les indices trouvés dans une théorie unificatrice. La véracité (totale ou partielle) de cette théorie est déterminée par un jet de dés.

Dans ce dispositif il me semble qu'il n'y a pas du tout de construction de solidité basée sur la confiance. Par contre la solidité est co-construite par toute la table tout au long de la partie, mais en particulier lors de la phase de théorisation et après un jet de dé négatif où une solution alternative doit être trouvée. 

Le plaisir de jeu vient d'avoir bien donné corps au canon d'enquêtrices géniales, de petite ville aussi endormie qu'inquiétante, et d'avoir interprété des super mamies. La résolution de l'enquête n'est pas ce qui apporte l'excitation d'hyper cohérence dont parle kF dans un article précédant.