dimanche 15 décembre 2019

Conditions, Conséquences, Chutes

Je vous ai dit il y a peu que j'avais du mal à gérer les complications dans Nephiloth. Comme c'est un problème qui me suis depuis plus d'un an à travers plusieurs itérations du système, j'ai fini par prendre ce défaut pour moi, personnellement.
Dans ma pratique de MJ tradi, j'étais un "gentil" qui avait du mal à frapper fort sur les PJs. Dans un système de résolution de tâches, un mauvais résultat aux dés indique un échec et c'est assez facile à gérer. Il faut juste décrire comment le PJ n'arrive pas à faire ce qu'il voulait. Mais dans pas mal de jeux plus récents, l'histoire est envisagée de façon plus globale et un mauvais jet de dés engendre des "complications" qui ne sont pas forcément en rapport avec la réussite ou l'échec de l'action. Dans un jeu d'enquête, c'est a priori plus intéressant que le jet d'enquête raté permette quand même d'obtenir un indice mais avec complication. Et moi j'ai du mal à décrire ces complications, à vraiment taper fort. Et a fortiori à concevoir un système sur lequel je pourrais m'appuyer pour générer des idées de complications qui le soient effectivement utiles en jeu.
Mais toutes les personnes qui ont bien voulu répondre à mes interrogations (allez poser des questions sur les Courants Alternatifs, c'est super enrichissant !) m'ont suggéré des façons différentes de gérer ces complications qui ne sont pas forcément des échecs. A force de bons conseils, je me suis rendu compte que je m'étais un peu embrouillé entre deux concepts :
  • l'enquête en "fail forward", c'est à dire que même un échec fait avancer l'histoire, 
  • la résistance du monde, ce qui fait qu'une action peut tourner mal d'une façon qui doit fortement dépendre du message du jeu
Nephiloth provient en droite ligne de Magistrats et Manigances. Lorsque j'ai commencé à travailler sur Nephiloth, j'ai récupéré la façon M&M de gérer les deux points ci-dessus. A chaque résolution, il fallait donc choisir 3 traits qui faisaient forcément avancer l'histoire : certains en fournissant des éléments pour l'enquête, d'autres en générant des situations problématiques. Déjà lorsque je maîtrise M&M, je trouve qu'il est compliqué de bâtir une narration cohérente à partir de trois choix. Dans Nephiloth, j'ai trouvé ça au dessus de mes forces, paralysant. Il y avait trop de choix à faire ET les items que j'avais proposé en tant que concepteur ne semblaient jamais coller aux situations que je devais résoudre en tant que MJ.

J'ai fait un premier pas dans la bonne direction grâce à la suggestion de mon bon génie Guillaume Jentey de découpler façon Dogs in the Vineyard (ou Démiurges) réussite vs échec d'une part, et retombées ou non d'autre part. Sauf qu'au lieu d'utiliser des retombées chiffrées, mécaniques et interprétables à posteriori comme dans ces jeux, je suis resté avec des complications en terme de fiction, qualitatives, et à interpréter tout de suite. J'en ai parlé dans le compte rendu précédent : le nombre de choix à faire était encore une fois trop important, d'autant que les contraintes exercées par les choix proposés se sont révélés non pertinent. J'avais gardé tous les défauts de mon resucé de M&M et ajouté quelques uns de mon cru.

Les bons conseils sur les Courants Alternatifs avaient commencé à me faire entrevoir le problème. Mon autre bon génie Frédéric Sintès l'a exposé en pleine lumière:
Pense aussi que tu peux toujours mécaniser les conséquences à base de jauges (ou de modificateurs). Parfois les vieilles recettes ont du bon, même Apocalypse World utilise des points de vie (améliorés, mais des PV quand même).
Ces deux phrases m'ont vraiment libéré. En effet, une jauge mécanique permet d'évacuer l'interprétation à plus tard, sans qu'il soit possible de s'y soustraire. L'interprétation en terme de fiction d'une jauge qui descend peut être immédiate "tu es blessé", "à la fin de votre conversation elle se lève de table, visiblement fâchée contre toi" ; ou différé "tu remarques que les passants t'évitent", "une voiture te suit depuis la gare". D'ailleurs, une jauge est d'autant plus efficace si ses niveaux se traduisent en terme de malus à certaines tâches. Là, l'interprétation en terme de fiction se fait naturellement : j'ai raté mon coup à cause de mon poignet endolori ; j'ai réussi à quitter la ville bien que je sois recherché par la police.

Mais fi de ces exemples génériques ! Quelles sont les jauges qui collent à Nephiloth ? Par exemple, il peut y en avoir une par arcane mineur : condition magique, condition occulte, condition profane et condition matérielle. Ça s'emboîte assez bien avec le système de résolution. Par exemple si on résout un rite de coupe et qu'on répond avec une lame d'épée, alors on reçoit une condition d'épée. On prend cette lame l'épée avec laquelle on vient de répondre et on l'ajoute à un emplacement sur sa feuille qui correspond à la jauge d'épée. Le nombre de cartes empilées sur la jauge donne la gravité de la condition. La prochaine fois qu'on voudra résoudre un rite d'épée, la plus haute carte de condition d'épée peut venir remplacer la lame d'opposition. Une condition d'épée correspond bien à un malus pour le rite d'épée.

Une fois arrivé là, je me suis dis que ma première idée de conditions magique/occulte/profane/matérielle ne collait pas forcément bien.
  1. Il était difficile de faire correspondre les 4 arcanes mineurs et les 4 types de conditions. Pourquoi le bâton serait lié à une condition occulte plutôt qu'à une condition matérielle ?
  2. Il était difficile de faire correspondre un type de condition et le malus qu'il apporte à un rite mineur donné. Pourquoi un condition matérielle apporterait un malus uniquement au rite de création et non au rite périlleux ?
Prenons donc le problème dans l'autre sens. Ce qui peut empêcher une Nephila d'accomplir un rite périlleux est une condition de bâton. Et puis pendant qu'on y est, c'est une chute de bâton. En effet, le message du jeu Nephiloth tourne autour de la chute, du traumatisme et du chemin vers sa guérison. Plutôt que de parler de blessure physiques ou magiques, parlons de niveaux dans différents types de traumatisme. Ce sont ces chutes psychologiques qui se dressent entre une Nephila et l'illumination.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila d'enquêter ? Sa paranoïa, le fait de se sentir observée, recherchée ou exposée au vu et au su de tous.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila d'affronter un péril ? Son angoisse, de l'inquiétude à la sensation d'impuissance.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila de palabrer ? Son syndrome de l'imposteur, l'impression d'être ridicule ou illégitime.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila de créer ? L'angoisse de la page blanche, se persuader d'être incomprise ou dépourvue de talent.
On arrive ainsi à une nouvelle version du plateau/feuille de personnage avec 4 jauges dont chacun des 4 niveaux est qualifié par un adjectif existentiel. A chaque fois qu'on accumule une lame de chute, on l'utilise pour couvrir l'adjectif le moins pire de la jauge. On peut ainsi se retrouver au pire avec une Nephila qui se sent exposée, impuissante, illégitime et sans talent. C'est un état qui peut se traduire dans la fiction et qui apporte des malus à la mécanique de résolution.

Plateau de personnage de la roue de Fortune, avec les 4 jauges de chute.
Au passage, vous remarquerez qu'on a gagné des icones pour les 4 arcanes mineurs. Ca aide à la lisiblité.
Les règles de résolution de rite prennent déjà tous ces développements en compte. J'ai également ajouté une page pour expliquer la mise en place de la table de jeu et les chutes.


dimanche 24 novembre 2019

Test périlleux

Il y a déjà un mois, j'ai pu tester la dernière mouture de Nephiloth. Depuis le test précédent, j'avais découplé réussites et complications, réduit le nombre de rites, mis au point une nouvelle façon de tirer le tarot, et conçu une méthode de préparation de session. En plus, je m'étais donné l'objectif ambitieux de faire tenir en une séance une partie entière, création de personnages comprise.

Même si tout n'était pas idéal ni rodé, la partie n'a pas explosé en vol et il y a eu quelques moments sympas. Mais bien sûr, même si la création de personnages a été rapide, les 3 grosses heures de la séance n'ont pas suffi pour terminer la partie.

Création de personnages et interface avec la préparation

Pour résumer, j'avais une préparation centrée sur Lyon au 19e et j'ai imposé aux joueurs une incarnation commune à Lyon sous Napoléon Ier. On a tiré au hasard les arcanes majeurs : Hermite, Roue de Fortune et Monde. J'ai laissé les joueurs choisir leur archétype : Simurgh, Serpent et Ifrit.

J'ai tâtonné pour lier les personnages à la période commune. J'ai d'abord décrit la période de façon générale et profane, puis j'ai posé des questions orientées aux joueurs, mais elles étaient trop ouvertes et demandaient trop de connaissances sur l'époque pour que les joueurs puissent s'en saisir.

  • Hermite : Quelle vérité occulte as-tu réussi à dissimuler ?
  • Roue de Fortune : Quel rapport entre la cartographie des champs magiques et le tissage de la soie ?
  • Monde : Quelles factions occultes as-tu dressé l'une contre l'autre ?

Si c'était à refaire, je poserai des éléments plus précis avant de poser une question qui met les personnages en relation entre eux.

  • La Roue de Fortune se servait du tissage de la soie pour enregistrer l'entrelacement des champs magiques. Toi, Hermite, à qui as-tu dissimulé ce secret ? Comment ?
  • L'Hermite était parvenu à brouiller les symboles et les grades utilisés par les Francs-maçons pour qu'on ne sache plus s'ils étaient Templiers, Rose+Croix, Illuminés ou profanes. Toi le Monde, comment as-tu utilisé cette confusion pour dresser deux factions occultes l'une contre l'autre ?
  • Le Monde avait mis au centre du jeu occulte l'extension de la ville vers la Croix-Rousse et au delà du Rhône. Toi Roue de Fortune, comment as-tu laissé ta marque sur la disposition des champs magiques de ces territoires ?

Bien sûr, je n'ai pas fait comme ça, et je me suis retrouvé avec des intrigues pendantes propres à chaque personnage. Bien pour une campagne où on veut du matériel sur quoi s'appuyer, mais pas assez focalisé pour un one-shot. Ça s'est encore amplifié quand j'ai voulu demander à chacun ce qui le ramenait sur Lyon dans le présent. Chacun y est allé de son intrigue personnelle déconnectée des autres :

  • la Roue de Fortune sortait d'une tentative d'assassinat à Paris qui semblait commanditée par une faction qu'il avait connu à Lyon
  • l'Hermite venait chercher un artefact contenant un secret dans une exposition à Lyon
  • le Monde était sur la trace d'une faction qu'il pensait avoir détruite à l'époque mais qui refaisait surface

Du coup, j'ai passé une bonne partie de la séance à faire se rencontrer les PJs. En particulier, le joueur qui a effectué le rite d'Atlantis a gardé son personnage isolé de bout en bout. Il va vraiment falloir une meilleure méthode d'introduction.

Le rite d'Atlantis

Je l'avais conçu comme une version simplifiée des autres rites. Comme c'est le premier rite, celui qui démarre la session, je m'étais dit qu'il jouerait le rôle de tutoriel. En plus j'avais conçu ce rite pour qu'il génère obligatoirement des complications.

En pratique, le rite n'a rempli aucun de ces objectifs. Le rite pose trop de questions ouvertes au joueur, c'est intimidant. Seule une toute petite partie de ce que je joueur apprend dans ce tutoriel est réutilisable dans les rites suivants. Et les tables de complications se sont avérées très mal adaptées à une introduction.

Les joueurs m'ont suggéré de transformer ce rite en un tirage de tarot par le MJ qui définit la situation initiale de façon globale. C'est au MJ d'interpréter les cartes, mais il le fait de façon ouverte pour apprendre à tout le monde comment faire. À creuser.

Les complications

Elles sont peu entrées en jeu, mais j'ai eu à chaque fois du mal à utiliser le système. Je pense que ça ne correspond pas à ma manière de maîtriser. J'ai du mal à insérer immédiatement une complication et ce système ne m'aide pas particulièrement. C'est un problème profond et je vais devoir m'y intéresser sérieusement.

Le système de résolution de rites

Ça ça marche ! Les joueurs ont trouvé ça cool, riche, et n'ont pas exprimé de frustration. Je pense que je tiens quelque chose.

Les symboles

L'économie des symboles a très bien fonctionné. La résolution de rites a plusieurs fois demandé l'introduction de nouveaux symboles. J'ai juste eu à piocher dans la liste de symboles préparée lors de la création du caneva. Un bon point pour ma méthode de préparation.

Les joueurs ont commencé à utiliser et réutiliser les symboles déjà en jeu afin d'obtenir des réussites symboliques. Ça a commencé à donner une cohérence à l'histoire. Il faudrait une partie plus longue pour voir si ce système donne bien un sens hyper cohérent à l'histoire.

Le choix du rite

C'est vraiment le point qui m'a le plus surpris. Ce n'était pas un rouage du système mal conçu, ou qui manque, mais un mécanisme que j'ai conçu avec une certaine intention d'utilisation et qui en fait marche mieux si on l'utilise autrement.

Pour mémoire un rite se déclenche et doit être résolu lorsque la situation dans la fiction correspond aux circonstances prévues par le rite. Il y a donc forcément une lecture de la situation. Et une situation peut être lues de plusieurs façons différentes.

En pratique, deux personnages sont arrivés aux alentours d'une église abandonnée, taguée avec des panneaux qui les prévennaient d'un danger d'effondrement. Moi MJ, je n'avais pas prévu de danger particulier dans cette église, ces panneaux n'étaient là que pour éloigner les profanes. Il me semblait logique de déclencher un rite d'enquête. Mais du point de vue des joueurs, ils arrivaient dans un lieu dangereux et voulaient décrire les précautions que prenaient leurs personnages. Pour eux il fallait donc déclencher un rite périlleux.

Comment trancher entre ces deux lectures ? À tête reposée, c'est évident. Il faut regarder comment agissent les PJs et non sa préparation. Ils agissaient avec prudence, comme si le lieu était périlleux, c'est donc un rite périlleux.

Bien sûr, ce n'est pas ce que j'ai choisi de faire sur le moment et il y a eu malaise. Pour ma défense, je me suis focalisé sur un point technique : la carte face visible en haut du tas d'épée était une figure. Ça veut dire que tout rite d'enquête était forcément un échec, sauf si on dépense un précieux arcane majeur. Il était donc dans l'intérêt des joueurs d'intercaler un autre rite avant de déclencher un rite d'enquête. Je pensais donc que les joueurs agissaient non en fonction de la fiction mais en fonction de ce point technique. Quand bien même, ils avaient raison de jouer avec le système.

Bref, je me suis planté, mais j'ai beaucoup appris sur mon propre système. Grâce aux remarques des joueurs, je vois une toute autre lecture des règles et de la façon dont j'aurais pu les interpréter. Oui, les joueurs ont le pouvoir de décréter qu'un lieu est dangereux alors que ce n'est pas ce qu'envisageait le MJ. Ça aurait été beaucoup plus fertile.

Comme on a terminé plus ou moins à ce moment là, j'envisage de faire rejouer l'entrée dans l'église avec cette perspective.

dimanche 13 octobre 2019

Tirage de tarot (3e version)

En Mars, j'ai changé le système de résolution de Nephiloth pour passer des dés façon Apocalypse World ou Libreté à un tirage de lames de tarot. Dans le principe, le MJ tire une carte, la joueuse tire au moins une carte et choisit celle qui va affronter la carte du MJ. Si la carte de la joueuse a une valeur supérieure à celle du MJ, c'est une réussite avec complications. Si inférieure, c'est un échec. Si égales, c'est une réussite parfaite.

carte12345678910ValetCavalierReineRoi
valeur1234567891011111111

Après test, des problèmes sont apparus. En particulier, il était important de rendre plus facile la détermination et l'application des conséquences négatives. Il semble du coup intéressant de pouvoir avoir des échecs sans complications et des réussites avec complication. De plus, la probabilité de réussite parfaite est faible et il y a très peu de moyen de l'améliorer.

C'est pour ça que j'ai proposé un deuxième système de tirage de tarot. J'ai associé chaque rite à un arcane majeur, et chaque arcane majeur à des conséquences négatives. Répondre à la lame du MJ en utilisant une lame de l'arcane majeur du rite évite les conséquences négatives, mais seule la comparaison des valeurs indique la réussite ou l'échec. Si on tire au moins deux cartes, on peut avoir une situation où l'une des cartes permet le succès avec complication alors que toutes les autres n'offrent que l'échec sans complication. Tension. Suspense. Synesthésie avec le dilemme du personnage !

Sauf que depuis j'ai calculé les probabilités et en fait la probabilité d'un tel dilemme est extrêmement faible. De plus, la probabilité d'être obligé de prendre une complication est extrêmement élevée (75%) lorsqu'on tire une seule carte et reste élevée même avec de nombreux bonus. Par exemple si on a le droit de tirer 4 cartes, la probabilité de complication inévitable est encore autour de 20%.

J'ai passé quelques jours à penser en terme de probabilité, de tirages aléatoires et ça m'a bien fatigué sans beaucoup de résultat. Et puis j'ai ressorti mon jeu de tarot et j'ai commencé à jouer avec. J'ai mis à part les arcanes majeurs. Puis j'ai séparé les arcanes majeurs par couleur. Si ces 4 tas sont face cachée, alors ils sont difficilement distinguables sur la table. Ce n'est pas très ergonomique. Mais s'ils sont face visible on devine facilement dans quel ordre vont sortir des cartes. Du coup, j'ai opté pour une disposition où chaque tas est face cachée mais où la première carte est retournée face visible. Comme ça on identifie bien les 4 tas, mais l'ordre des lames reste caché.

Disposition des lames de tarot.
Sont visibles le 8 d'épée, le 3 de bâton, le 7 de coupe et le 4 de denier.


Une fois cette configuration sous les yeux, il devient évident que la carte qui détermine l'adversité n'est plus tirée par le MJ. C'est tout simplement la carte du dessus du tas de l'arcane mineur associée au rite. Si une joueuse veut effectuer un rite de palabres, alors elle s'oppose à la lame de coupe dévoilée, ici le 7 de coupe. Elle met cette lame devant elle mais ne dévoile pas pour autant la prochaine lame de coupe.

Le 7 de coupe est l'opposition. Sont visibles le 8 d'épée, le 3 de bâton, le 4 de denier. La première lame du tas de coupe reste cachée.


Si la joueuse veut réussir à tout prix, même une complication, elle peut piocher  une lame visible de valeur supérieure à celle de l'adversité. Ici, seul le 8 d'épée correspond à ces critères. Ça garantit un succès avec complication d'épée. Suivant les lames visibles, cette option n'est pas toujours possible.

Par contre, si la joueuse veut à tout prix éviter les complications, même au risque d'échec, elle peut prendre la première lame du tas de coupe. Comme c'est la même arcane mineur que l'adversité, pas de risque de complication. Mais comme cette lame est face cachée, la joueuse ne peut pas savoir si ce sera un succès ou un échec.

Mettons maintenant que la joueuse ait utilisé deux symboles dans la description de son action. Elle a le droit de tirer deux lames supplémentaires, soit 3 lames en tout. Elle décide d'assurer un succès (au risque de complications) avec le 8 d'épée, mais tire deux lames face cachée parmi les coupes, au cas où elle obtienne un succès sans complication.

L'opposition est le 7 de coupes. La joueuse a sélectionné le 8 d'épée et 2 lames de coupe face cachée.
Résultats du tirage: 2 de coupe, 6 de coupe, 8 d'épée, face au 7 de coupe
Ici, les lames de coupe tirées face cachée sont inférieures à 7. La joueuse peut encore choisir entre l'échec sans complication assuré par les lames de coupe, et le succès avec complication assuré par le 8 d'épée.

A tout moment, la joueuse peut remplacer son tirage par un arcane majeur dans la main commune. Une lame majeure assure un succès sans complication et est parfois la seule façon d'en obtenir. Par exemple, quand on sait que la lame d'opposition ne peut pas être battue par les cartes qui restent dans le tas. C'est le cas quand toutes les lames supérieures ont déjà été tirée, ou quand l'opposition est une figure.


Le fait de jouer avec une partie des cartes face visible change fondamentalement la structure du système de résolution. Il ne s'agit plus d'un résultat aléatoire dont on calcule les probabilités. Il y a toujours du hasard, mais la stratégie de la joueuse entre en jeu bien plus en amont. Plutôt que de décider uniquement une fois le tirage fait, la joueuse peut optimiser son tirage pour viser un résultat favorable. Grâce aux cartes face cachées, obtenir une réussite sans complication demande toujours de la chance, mais il est souvent possible de viser une réussite avec complication ou bien d'assurer une absence de complication.

Mais la stratégie peut remonter encore plus en amont. Si la lame visible de Denier est une figure (le valet de denier par exemple), la joueuse sait que tout rite de création sera un échec (à moins d'utiliser un arcane majeur) car aucune lame ne peut battre une figure, pas même une autre figure. Il sera bien plus profitable de pratiquer un rite associé à un autre arcane mineur (par exemple un rite de recherches lié à l'épée) et d'y utiliser le valet de denier qui assure une réussite (avec complication).

Reste à savoir que faire quand un tas s'épuise, comment ce nouveau système s'intègre avec les rites d'arcane majeur, le rite d'Atlantis, etc.

samedi 28 septembre 2019

Préparer une session

On peut préparer un scénario, décider d'événements clés, écrire à l'avance ses descriptions. Faites ça au cinéma, ça marchera mieux qu'à une table de jeu de rôle où vous aurez soit à jeter votre préparation, soit à convaincre vos joueuses de revenir quand même la prochaine fois.

On peut partir en improvisation complète et sans contrainte. C'est ce que j'ai essayé de défendre à travers l'enquête improvisée, mais un de mes joueurs, MJ de Nephilim par ailleurs m'a dit "tu dois être très fort, j'en suis incapable". C'est vrai, moi non plus je ne m'en sens pas encore capable (ou alors à des jeux faits exprès comme Swords without Master, mais ce système est une forme de contrainte créative).

Une voie médiane c'est sûrement d'avoir une situation de départ explosives, des PNJs avec des motivations contradictoires, quelques vérités cachées (basée sur des événements passés et non futurs), une ou plusieurs façons de faire entrer les PJs dans l'histoire et de jouer pour savoir ce qui va se passer. Comment construire un tel cadre ? Comment le construire quand on a le temps et l'envie de travailler tous les détails ? Comment le construire le plus vite possible, voir en début de séance pour donner l'impression de l'improvisation ? Comment utiliser la créativité des joueurs pour combler les trous de notre préparation ?

On a partir du paradigme énnoncé dans le billet précédant : Le traumatisme cause la perte de mémoire. De la mémoire perdue naît l'énigme.

Préparation complète, quand on a le temps


Commençons par quelque chose du monde réel et profane qui nous inspire. Ça peut être un lieu visité, un article de journal, un personnage historique, un événement, une légende.
Le « Stonehenge espagnol » refait surface après presque 60 ans sous les flots
Après quasiment 60 années passées sous l'eau, un monument mégalithique datant de l'Âge du bronze surnommé le « Stonehenge espagnol » s'est retrouvé complètement exposé à l'air libre cet été, à la suite d'une sécheresse particulièrement sévère. Constitué d'environ 140 monolithes de granite érigés il y a 4.000 à 5.000 ans, le site, baptisé Dolmen de Guadalperal, est localisé dans le centre-ouest de l'Espagne. Le monument, qui se dressait sur les berges du fleuve Tage a été englouti en 1963 par la construction d'un barrage et du réservoir de Valdecañas. C'est la première fois depuis sa submersion que la structure est entièrement visible, alors que jusque-là, seuls les sommets des menhirs perçaient occasionnellement la surface en cas de sécheresse.
La résurgence inattendue du mégalithe offre une « formidable opportunité » économique pour la région, selon Angel Castaño, président de l'Association culturelle Racines de Peraleda (Raices de Peraleda) cité par El Mundo, arguant que l'occasion se présente de transférer le monument à une distance raisonnable du réservoir afin de préserver ce patrimoine, puis d'en faire une attraction touristique. Déjà, les curieux ont commencé à affluer sur ce site d'exception, sauf qu'ils le font sans encadrement et menacent ainsi de le dégrader. Un groupe de travail mandaté par le gouvernement aurait au contraire préconisé de ne pas déplacer le Dolmen de Guadalperal de peur d'une « perte irréversible de [son] contexte historique et archéologique ». Le monument est donc condamné à retourner à son tombeau aquatique, la hausse du niveau du réservoir étant notamment attendue avec le retour de la saison des pluies.
source
Si vous avez le temps, allez faire des recherches complémentaires. Mais supposons que ce que vous avez vous suffit. Et puis vos joueuses iront bien faire ces recherches.

Ensuite, essayons d'identifier deux traumatismes de deux natures différentes.
  • Traumatisme de Bâton contre la magie inanimée : le Dolmen de Guadalperal a une fonction magique qui a été désactivé par l'immersion dans le lac de barrage. 
  • Traumatisme de Denier contre les profanes : La fin de la culture des mégalithes.
Ensuite, trouvons un symbole pour la victime et la cause de chaque traumatisme. Si on n'y arrive pas, on laisse un blanc. On peut écrire plusieurs symboles proches avant de fixer ses idées.
  • Bâton
    • victime : fleuve
    • cause : barrage, mur, maçon, fil à plomb
  • Denier
    • victime : pierre dressée
    • cause : 
Vous remarquerez qu'à aucun moment on ne cherche à déterminer précisément la cause ésoterique de chaque traumatisme. On ne fait que leur donner des symboles. La signification des traumatismes émergera des propositions de la table en suivant les principes de l'enquête improvisée.

Essayons maintenant de trouver quelles factions occultes ou profanes qui aimeraient réparer les traumatismes sans en avoir les moyens, et quelles sont celles qui essayent de les aggraver et qui en ont les moyens. Certaines factions peuvent apparaître plusieurs fois, dans le même rôle ou dans un rôle opposé, pour deux traumatisme différents.
  • Bâton
    • veut réparer : Des archéologues qui ne comprennent pas la fonction occulte du Dolmen mais profitent de l'émergence du site pour le cartographier et le fouiller.
    • peut aggraver : Raices de Peraleda (Mystes) qui veulent déplacer les pierres de force d'ici le retour de l'eau.
  • Denier
    • veut réparer : Raices de Peraleda (Mystes) qui veulent rétablir un sanctuaire
    • peut aggraver : Commanderie de Plasencia (Templier) veut faire graver des croix sur les mégalithes ou les abattre. C'est une façon de marquer son territoire, en particulier face à la Commanderie rivale de Cebolla.

On personnifie chaque faction avec au moins un PNJ bien identifiable. Chaque PNJ (et sa faction) ont une méconnaissance de la situation qui découle d'un savoir perdu dû aux traumatismes.
  • Angel Castaño (55 ans, photographe) : veut rétablir le sanctuaire mégalithique et le culte ancien et pour cela doit le sauver des eaux. Mais il ne sait pas que l'emplacement du sanctuaire est important dans sa fonction. Comme la requête auprès du gouvernement a échoué, il mobilise les membres de son association locale pour que tracteurs et camions déplacent les pierres avant que l'eau ne remonte.
  • Sor Inès (22 ans, religieuse) : issue d'une famille catholique traditionaliste dans l'orbite du Temple depuis des générations, elle a été envoyé en mission à Peraleda pour prendre le contrôle du Dolmen. Elle ignore tout de l'influence des Mystes sur place et compte sur la foi catholique des habitants. Elle influence le curé de la paroisse et les grenouilles de bénitier pour organiser une procession afin de bénir les mégalithes.
  • Cristina Gaciot y Suárez (37 ans, archéologue) : hypercompétente dans son domaine, mais complètement fermée aux hypothèses ésotériques. Elle est persuadée de l'importance du site, et c'est sur la foi de son expertise que le ministère a rejeté la demande de déplacement des mégalithes. Elle profite de l'émergence temporaire du site pour faire des relevés précis du Dolmen et de ses environs. Elle espère pouvoir rassembler des fonds pour fouiller l'année prochaine, ou celle d'après. D'ici-là, elle établi un périmètre de sécurité pour empêcher les dégradations par les curieux.
On identifie ensuite plusieurs points d'entrée possibles pour les PJs. On peut simplement éveiller la curiosité d'une Nephila par des signes qui annoncent une énigme. Il peut y avoir une requète directe venant d'un PNJ ou d'une faction qui fait appel à l'injonction de l'arcane majeur de la Nephila. Il peut y avoir un lien entre un élément de la situation (lieu, objet, faction) et le passé de la Nephila, voir l'époque d'incarnation commune des Nephiloth. A l'inverse, si c'est l'aventure d'introduction, le MJ peut avoir imposé une époque commune d'incarnation en lien avec la sitation préparée. On peut aussi juste lancer la session par un rite d'Atlantis qui amène un ou plusieurs PJs in media res. Toutefois avoir préparé au préalable des points d'entrées permettra de mieux rebondir sur les propositions du rite d'Atlantis.

Dans tous les cas, mieux vaut avoir plusieurs points de vue, plusieurs motivation à s'impliquer dans la situation. Donc au moins deux points d'entrée, parfois trois seront utilisés. C'est autant de scènes d'introduction pour un ou deux PJs.

L'article de Benjamin Kouppi sur l'enquête improvisée propose 5 façons d'attirer la curiosité : la coïncidence, la récurrence, le détail incongru, la parole interrompue, l'objet détruit ou subtilisé. Une seule façon par point d'entrée suffit.
Coïncidence : Un journal parle d'un séisme en Espagne, dont l'épicentre se situe à Peraleda. On voit une vidéo d'une process procession religieuse interrompue par le séisme. Heureusement, les mégalithes exceptionnellement hors de l'eau (dont le même journal parlait hier) ont tenu bon.
La requête fait appel à l'injonction de l'arcane majeur de la Nephila. Elle est faite soit par un profane qui s'adresse à l'hôte de la Nephila sans avoir conscience de déclencher l'action d'une entitée immortelle, soit par une faction occulte qui a su trouver le bon ressort pour mettre une Nephila de son côté.
Cristina Gaciot y Suárez, l'archéologue, se présente à la bibliothèque universitaire de Rennes pour demander des documents sur l'implantation de Dolmen Bretons. Elle explique à Yollande Hugenot, conservatrice et hôte de la Papesse, qu'elle doit rédiger au plus vite un dossier pour convaincre le gouvernement Espagnol d'empêcher le déplacement du Dolmen de Guadalperal.
Le lien avec le passé d'une Nephila est le point d'entrée le plus puissant. Comme une Nephila a une histoire millénaire et jamais totalement déterminée, elle a pu rencontrer d'une façon où d'une autre un élément de la situation préparée. L'existence d'un lien peut donc être décrété par le MJ, sans que la nature du lien soit précisée. Une ou deux questions orientées permettent de la cadrer en début de partie.
MJ : Pendant le Néolithique ou l'âge de bronze, tu as fréquenté la civilisation qui élevait des monolithes un peu partout en Europe, et en particulier en Espagne. Quel était ton rapport avec eux et pourquoi cette époque s'est mal terminée pour toi ?
Joueuse : Je pense que j'étais au centre d'un culte de la fertilité. Ca a duré des siècles et ce peuple a élevé un cercle de pierres levées pour m'honorer. Mais après une grande sécheresse qui a causé une famine, ils se sont retournés contre moi et ont sacrifié mon hôte pour ramener la pluie.
MJ : C'était des Mystères ?
Joueuse : C'est possible, ça colle bien avec la description de l'arcane de l'épée.
MJ : Bien ... un matin, tu ouvres le journal et tu tombes sur une photo d'un monument mégalithique. C'est ton sanctuaire. Voilà l'article qui est associé à la photo.
Le rite d'Atlantis permet d'improviser encore plus le début d'une partie. Les réussites correspondent à des façons d'attirer la curiosité. Les réussites symboliques sont des liens avec le passé. Reste l'échec, qui appèle une scène in media res où la Nephil est mise en mauvaise posture par un acteur occulte.
MJ : Tu es enfermée dans la crypte de l'église d'un village espagnol. Quelques minutes plus tôt, une none t'a proposé de te faire visiter cette crypte, selon elle magnifiquement ornée. A peine étais-tu entrée, qu'elle a refermé la porte à double tour sur toi. Qu'est-ce que tu fais ?

Préparation rapide, quand on n'a pas le temps

Pour accélérer cette création, il va falloir des tables et des listes qui permettent au MJ de choisir (ou de tirer aléatoirement) des éléments de situation typiques sans avoir à tout inventer.
  • Une table de traumatismes possibles des 4 arcanes mineurs
  • Une liste de symboles (ou alors un tirage aléatoire dans le dictionnaire des symboles)
  • Une table de factions possibles qui croise les apparences profanes et les appartences occultes.
  • Une liste d'oublis possibles.
  • Des listes pour chaque façon d'attirer la curiosité.
Quand j'aurai écris tout ça, j'essayerai de créer quelques cadres pour tester cette méthode et sa rapidité. Là, sans table et en rédigeant la méthode au fur et à mesure il m'a fallu 2 soirées pour écrire ce cadre.

samedi 21 septembre 2019

De la mémoire perdue nait l'énigme

J'ai le privilège d'avoir la version de test de Space Ronin entre les mains. C'est un jeu de Frédéric Sintès en hommage à Cowboy Bebop. On y joue des chasseurs de primes au grand cœur, à la fois badass et crêve-la-faim, avec des principes chevaleresques mais rongés par de mauvais penchants. Je trouve la méthode de création d'intrigue particulièrement intéressante. Déjà, il ne s'agit pas d'un scénario linéaire mais d'un cadre pour l'improvisation : on y pose les personnages, les factions et leurs motivations respectives ; on leur donne assez de complexité pour au'il ne soit pas facile de prendre un parti tranché ; on prépare des points d'entrées pour les PJs ; et on joue pour voir ce qui va se passer.

Mais ce que je trouve particulièrement intéressant c'est que la méthode pour parvenir à ce cadre s'appuie sur un message fort du jeu : de l'injustice naît le crime.
  • Le thème du jeu c'est l'injustice. 
  • Le gagne-pain des PJs c'est de poursuivre les criminels.
  • Les principes des PJs les poussent à combattre l'injustice.
  • Les criminels ne le sont qu'à cause de l'injustice.
On voit bien apparaître la contradiction qui sera motrice dans l'histoire.

La création de cadre est une suite de causalité à partir d'une injustice. Qui la subit ? Qui l'exerce ? A quel crime cela conduit ? Qui profite de l'injustice ? Qui la combat ? Etc.

Pour ceux qui connaissent Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, ça me fait beaucoup penser à la création de ville qui suit le précepte Mormon : la fierté mène au pécher, qui mène à la fausse doctrine, qui mène au faux clergé, qui mène à la haine et au meurtre. Le MJ remonte ces étapes pour créer un cadre de jeu. Sauf que Space Ronin a su simplifier ce message en 5 étapes à seulement deux étapes, ce qui rend le postulat du jeu encore plus marquant et lisible.

Forcément, ça me donne envie de trouver un équivalent pour Nephiloth.
  • Le thème de Nephiloth c'est le traumatisme qui se manifeste par la mémoire perdue
  • La cause de l'action des PJs c'est la quête de Sapience, vouloir soulever le voile de l'occulte et plus prosaïquement vouloir percer des énigmes
En conséquence, je vais tenter de faire passer le message : Le traumatisme cause la perte de mémoire. De la mémoire perdue naît l'énigme.

Dans cette formulation, il me manque encore visiblement la contradiction fertile avec les principes des PJs. Je vais y réfléchir, mais partons tout de même de cette formulation comme base de travail.

J'ai essayé de classer les traumatismes qui causent la perte de mémoire en quatre catégories qui correspondent aux quatre arcanes mineurs:
  • Traumatisme d'épée contre la magie animée : Nephila mise en stase, en narcose, enfermée dans un akasha ou réduit à l'état d'homoncule. Vol de mémoire, blessure d'orichalque, blessure magique.
  • Traumatisme de bâton contre la magie inanimée : Destruction volontaire, mise à l'index, prise de contrôle d'un lieu magique ou d'un artefact. Rituel incontrôlé.
  • Traumatisme de coupe contre les initiés : Faction occulte dispersée, décapitée, trahie, décadente. Archives occultes détruites, perdues, volées. Mensonges.
  • Traumatisme de denier contre les profanes : Peuple vaincu, décadent, massacré, conquis, colonisé, déporté. Révolution, passage de mode, conversion religieuse, obsolescence des techniques.
Bien sur, n'importe quel acteur occulte, arcane mineur ou Nephila peut causer n'importe quel traumatisme. Par exemple, un homoncule est un traumatisme d'épée dont le Temple est coutumier.

Pour l'instant, je vois deux façon d'utiliser les traumatismes pour structurer une partie : en préparation de la partie ou pendant la partie.

En préparation de la partie, c'est en suivant une méthode proche de celle de Space Ronin ou de Dogs in the Vineyard. Mettons qu'on commence par trouver un lieu cool qui nous inspire. Puis on choisit (ou on tire au hasard) deux traumatismes de nature différentes. Pour chacun, on essaye de déterminer la victime du traumatisme (un peuple, une famille, une Nephila, un lieu, un artefact) et qui l'a perpétré (faction occulte, groupe profane, Nephila) ainsi que les conséquences à l'heure actuelle. On cherche ensuite des personnes ou des factions qui se rattachent à ces traumatismes à l'heure actuelle. Il faut au moins deux acteurs, un qui cherche à réparer le traumatisme, l'autre à l'aggraver. On veille à bien personnifier ces positions. Une faction active au présent doit avoir un visage et chaque PNJ du présent doit avoir des motivations claires. Enfin, on trouve une ou plusieurs accroches insolites pour mettre les PJs sur le coup.

En fait, avoir le déroulé exact du traumatisme est moins important que de connaître les conséquences actuelles du traumatismes qui seront la source des indices que les PJs vont découvrir. Ainsi, si on n'arrive pas à inventer de pied en cape la faction qui a causé le traumatisme, un symbole suffit. Pendant la partie on pourra improviser autour de ce symbole en prenant en compte les hypothèses des joueuses.

Par exemple, on peut recréer la première aventure du Souffle du Dragon (Attention, ça divulgache) ainsi. On s'inspire du château de Fougères en Bretagne qui a une tour dite "Mélusine". Et si la Nephila Mélusine était enfermée dans cette tour ? Ca ferait un bon traumatisme d'épée. Pour le deuxième traumatisme, je tire le denier. C'est un château médiéval, il a du subir quelque chose au moment de la Révolution. Peut-être que les châtelains ont été chassés lors de la Révolution et vivent maintenant comme des roturiers. La famille des châtelains se nommait "de Lusignan". Cette particule doit être une blessure ouverte dans l'histoire familiale maintenant qu'ils vivent dans une demeure décrépite à quelques kilomètres du château. Et si, après réflexion, la Nephila était au départ l'alliée de la famille de Lusignan et qu'elle avait été chassée lors de la Révolution. Plutôt qu'enfermée dans la tour, elle serait enfermée dans un Akasha lié à la tour et à la grandeur passée des Lusignan.
Quelles conséquences actuelles ? Peut-être qu'à chaque génération, la fille de Lusignan qui aurait du devenir l’hôte de Mélusine devient folle autour de la majorité. Finalement Mélusine serait une victime du traumatisme de denier mais aussi la cause du traumatisme d'épée.
Est-ce que j'ai besoin de définir qui est Mélusine? Non, c'est un symbole pour l'instant, on verra bien ce qui sortira des recherches des PJs.
Qui s'y intéresse à l'heure actuelle ? Enguerrand de Lusignan qui cherche à percer la raison de la malédiction familiale qui touche sa fille Géraldine. Et des Templiers qui commanditent des fouilles à la base de la tour Mélusine. Le directeur des fouilles est Loïc Darban, professeur d'université cinquantenaire récemment initié et cherchant à impressionner la hiérarchie de son ordre par une découverte majeure afin de monter rapidement en grade.
Comment intéresser les PJs ? Peut-être que l'un d'entre eux entend parler du cas de folie subite de Géraldine de Lusignan, malheureusement une tare familiale. Peut-être que les fouilles sont perturbées par des accidents dont on parle dans la presse ? Peut-être qu’Enguerrand de Lusignan fait appel à un des PJs en le prenant pour un occultiste ?
Ça, c'est pour une enquête dont les faits sont connus d'avance et où on improvise les indices. Mais les catégories de traumatisme et l'adage "Le traumatisme cause la perte de mémoire ; de la mémoire perdue naît l'énigme" peut aussi servir dans une partie où les faits sont improvisés et où joueuses comme MJ improvisent en partant des indices. Penser en terme de traumatismes permet au MJ de prendre rapidement une longueur d'avance sur les joueuses. C'est d'autant plus vrai si le MJ s'autrorise à ne créer que des symboles pour les acteurs manquants et à profiter des hypothèses des joueuses pour les dépeindre plus en détail.

samedi 31 août 2019

Génération de contexte

Si vous lisez ce blog, vous devez savoir que mon dada c'est de formaliser des recettes pour jouer à Nephilim sans la lourdeur de Nephilim. J'ai beaucoup parlé de la façon dont les participants en général, joueuses et MJ, doivent prendre appuis sur des éléments profanes et les interpréter avec une grille de lecture ésotérique pour aboutir à un monde occulte contemporain qui a le goût, l'odeur et l'apparence de Nephilim sans forcément correspondre à la gamme officielle. Aujourd'hui, j'aimerai me placer du point de vue du MJ qui doit préparer ou improviser un cadre fertile pour une séance de jeu intéressante. Mon but, c'est que l'improvisation soit rapide, facile, et donne une séance qui fait Nephilim. Au point que préparer sa séance plus que ça ne soit pas nécessaire.

Quand on cherche quelque chose dans un lieu dans Nephilim on ne trouve pas les mêmes choses qu'à Cthuluh ou à Shadowrun. Quand on a assez joué/maîtrisé à Nephilim on le sait, on le sent. Comment transmettre ce savoir-faire pour reproduire cette sensation de jeu ? Comment transmettre la logique de l'univers autement que par des scénarios tout faits et des backgrounds trop précis ?

Les vacances m'ont permis de rattraper mes épisodes en retard de radio rôliste, et l'écoute d'une analyse de Julien Pouard dans le numéro 91 a planté une graine dans mon esprit qui a fini par germer. Pourquoi ne pas utiliser des tables ou des listes ? C'est un moyen hypercondensé de faire passer un univers, une ambiance. une entrée dans une table c'est une information condensée, succincte et possiblement inspirante. Ça met des limites, de ce qui existe dans l'univers. D'une table à l'autre il y aura des interprétations différentes, des univers différents mais qui ont un air de famille.

Un exemple:
PJ: la fois dernière, tel PNJ était lié à la ville de Tour. J'ai fais mes recherches et j'ai découvert qu'une mission archéologique venait justement de trouver un cimetière mérovingien à Tour. Ça m'intéresse et j'ai envie de mettre mon nez dans ces fouilles.
MJ dans sa tête : OK, bon. Des fouilles archéologique c'est un classique de l'univers de Nephiloth. Il y a une liste à ce propos, je la consulte… ha, ça serait marrant qu'ils aient ouvert sans le savoir la porte d'un akasha … et que le chef de la mission soit manipulé par la Rose+Croix. C'étaient les ennemis jurés du PNJ de la fois dernière.
Maintenant, j'ai une faction occulte, regardons la liste correspondante pour trouver ses motivations et les conséquences au ça peut avoir. Est-ce que les R+C contrôlent la région ? Nan, on va dire qu'ils tentent d'y reprendre pied. Et qu'ils ont perdu un secret précieux. Et ça pourrait être à cause d'une rivalité interne. Prévoir quelques morts inexpliquées dans les semaines précédentes. Peut-être que celui qui a volé le secret voudra marchander sa protection auprès des PJs. Quand à l'akasha ouvert, voyons la table correspondante ... ha oui, ça doit perturber les rêves de toute la ville. Je pense que j'ai une idée de scène d'introduction lors de leur première nuit d'hôtel sur place. Tous les clients qui hurlent dans leur rêve à 3h45 du matin.
En effet, ces listes ne doivent pas que donner un contexte occulte. Elles doivent créer une situation instable et générer des accroches qui motivent les joueuses à agir.

On rappelle, ce qui motive les joueuses de Nephiloth c'est tout ce qui est étrange, tout ce qui sort de l'ordinaire et éveille la curiosité, tout ce qui a le potentiel de révéler l'occulte.

On peut imaginer que chaque type d'élément profane (une fouille archéologique, un lieu public, une propriété privée, un évènement culturel, etc.) ait une liste de caractères occultes possibles dans laquelle le MJ peut piocher ou s'inspirer. Mais ces caractères occultes ont eux aussi des listes de conséquences énigmatiques possibles (série de meurtres, disparitions d'objets, accidents à répétition, rêves récurrents ou collectifs, etc.) que le MJ doit présenter aux PJs pour susciter leur curiosité.

Je suis en train de créer ces tables. Ma méthode : relire les scénarios de ma bibliothèque, identifier les types d'éléments profanes classiques et noter les caractères occultes qui leur sont associés de façon générique. Par exemple, dans la Rose de Provin, on a une fouille archéologique qui a été précédé par des fouilles menées par un arcane mineur. Dans le Souffle du Dragon, on a une fouille archéologique qui est noyautée par un arcane mineur et a découvert une inscription énigmatique. Je note aussi les états et motivations des éléments occultes (faction scindée par une rivalité, akasha ouvert) et les conséquences possibles. Ca va me prendre quelques temps, mais je pense arriver à distiller une recette de ce qui fait Neph.

Merci à Serogor et Ashbless sur le discord Nephilim dont les questions et suggestions m'ont bien aidé à formaliser ma pensée. Merci aussi à Gulix qui a présenté des tables aléatoire pour générer des contextes de Fiasco tout le mois d’Août.

mercredi 10 juillet 2019

Découpler, clarifier

Suite à la partie précédente, j'ai refondu le système avec trois objectifs:
  • clarifier la répartition de l'autorité narrative (et rendre ça intuitif)
  • découpler la réussite des actions et les conséquences, pour forcer la mise en œuvre de ces dernières.
  • donner du poids aux descriptions, aux actions des joueuses.

Répartition de l'autorité narrative

Le premier point s'est résolu par la grammaire. Jusqu'ici, les réussites possibles des rites étaient formulées par des affirmations à la deuxième personne :
  • Tu découvres un lieu ou un objet chargé
  • Tu impressionnes ton public
Je les ai transformé soit en des questions que le joueur pose au MJ, soit en des affirmations à la première personne qui sont des demandes de narration adressées à la joueuse
  • Quel est le lieu ou l'objet que je découvre ?
  • Je narre comment mon œuvre influence les profanes
Comme ça on sait qui doit dire quoi. Le MJ ne peut pas empiéter sur les narrations des joueuses, les joueuses savent quand elles doivent demander ce qu'elles trouvent à la meneuse. Rien n'empêche le MJ de répondre par une question "Qu'est-ce que tu t'attends à trouver ?" et donc de renvoyer la balle, mais a priori la balle commence dans son camp.

Les principes qui font qu'une réussite tombe dans une catégorie ou une autre sont simples : le MJ à autorité sur les informations trouvées alors que les joueuses ont autorité sur la description des réussites leurs actions.

Un autre domaine a priori réservé au MJ c'est de déterminer le fond des complications. "Quelle est l'information que je divulgue ?". Mais la joueuse peut participer à la narration de la complication. Et on va voir qu'elle va choisir le type de conséquence, et donc la question à laquelle le MJ répondra.

Découpler réussites et complications

Sur une suggestion de Guillaume J. que j'ai commencé par refuser totalement avant de reconnaître sa sagesse, je me suis inspiré de Dogs in the Vineyard et Démiurges, deux jeux qui découplent la réussite des actions et leurs conséquences négatives. En plus des réussites parfaites ou échecs avec conséquences négatives, on peut réussir avec conséquences négatives ou échouer sans conséquences négatives. Et surtout on peut être amené à choisir entre ces deux derniers cas.

Au début j'étais dubitatif puisqu'il faut superposer ça avec l'obligation d'un échec qui fasse avancer l'enquête. Mais finalement ça semble plutôt bien se combiner.

L'idée de base est d'utiliser la valeur d'une carte pour déterminer la réussite ou l'échec (plus haut que le MJ ça marche, plus bas ou égal ça foire), et d'utiliser sa couleur (l'arcane mineur de la lame) pour déterminer s'il y a des conséquences négatives.

Mais alors, comment sait-on quel arcane amène des conséquences négatives ? A vrai dire les conséquences négatives rendent la vie intéressantes, donc autant que presque toutes les arcanes mineurs correspondent à des conséquences négatives, mais que l'une d'entre elle permette de les éviter.

Mais alors, comment sait-on quel arcane évite des conséquences négatives ? On pourrait le fixer une fois pour toutes, mais ça ne correspondrait pas à la symbolique complexe des 4 arcanes mineurs. Elles peuvent toutes avoir des significations négatives ou positives à un moment ou un autre.

Une première idée, c'est que l'arcane tirée par le MJ est celle qui évite les conséquences. Mécaniquement ça marche, mais on perd tout intérêt symbolique.

Une deuxième idée, c'est de déterminer pour chaque rite l'arcane symboliquement positive. Bon, sauf qu'avec 7 rites de base, plus un rite de début de partie, plus 22 rites d'arcanes on risque de perdre en visibilité et en simplicité.

D'ailleurs, Christophe A. m'a fait remarquer que tout dans ce jeu va par 4 (ou par 5) et que donc je pourrais avoir 4 rites de base. C'est vrai qu'à force de séparer les recherches en bibliothèques des recherches sur le terrain, les attaques et les actions face au danger, etc. le jeu perds en lisibilité. Et puis les titres des rites (rite d'Athènes, rite de Rome) sont sympas, plein de couleur, mais on ne comprend pas au premier regard à quoi ils servent. Donc on compresse, on simplifie, on clarifie.

4 rites de base :
  • rite de recherche, associé à l'Epée
  • rite périlleux, associé au Bâton
  • rite de palabre, associé à la Coupe
  • rite de création, associé au Denier
Si la joueuse utilise une lame de l'arcane mineur associée au rite, pas de conséquence négatives.

On garde le rite d'Atlantis pour lancer la partie. Pas d'arcane mineur associée, donc il y a forcément des conséquences négatives, ce qui lance l'histoire.

22 rites d'arcanes majeur. Forcément pas d'arcanes mineur associée, donc il y a forcément des conséquences négatives.

Mais dans tous les rites, il est possible d'utiliser un arcane majeur. Ça assure la réussite ET ça évite les conséquences négatives, mais ça déclenche un Mnémos. Ça, ça ne change pas.

Mais si on a utilisé un arcane mineur qui n'est pas associé au rite, que se passe-t-il ? Mettons que lors d'un rite de recherche on choisit d'utiliser un 10 de bâton pour s'assurer d'une réussite. Et bien on regarde dans la liste des complications de bâton, qui sont plutôt des problèmes liés à la chute, aux attaches avec le monde occulte.
  • Quelle est la mauvaise rencontre que je fais ?
  • À quel danger je m'expose ?
  • Quel allié j'expose ?
  • Comment peut-on remonter ma piste ?
Le MJ en sélectionne au moins deux qui sont appropriées à la situation. La joueuse en sélectionne une et pose la question au MJ. Celui répond factuellement. La joueur narre ce qui se passe.

Donner du poids aux décisions des joueurs

J'ai décidé de faire tirer une carte supplémentaire par symbole utilisé dans la narration. Ca donne de l'importance à cette narration et renforce l'aspect symboliste du jeu. Au niveau du système, ces cartes supplémentaires ouvrent les choix possibles et donc permettent au joueur un choix véritable entre les différents types de réussite ou complication.

Pour simplifier, une réussite donne une réussite possible à choisir. Décharger un symbole pour avoir une réussite symbolique (magique) en plus.

Le processus de détermination des complications est aussi plus clair avec finalement moins de choix. J'espère que du coup les choix auront plus de poids.


Tout ça est déjà en ligne depuis plusieurs semaines dans les pages accessibles par le menu de droite, le temps que j'arrive à écrire ce post.

samedi 1 juin 2019

Compte rendu: mise aux enchères

Enfin un test sur table, avec son lot de critiques constructives.

C'était la suite du test troyen d'il y a trois mois, mais l'un des joueurs n'a pas pu être présent et un nouveau joueur nous a rejoint (grand connaisseur de Nephilim 2e édition).

Création de personnage rapide

Comme il y avait un nouveau joueur, il a fallu lui créer son personnage. On a fait ça en chat quelques heures avant la partie. L'époque commune était fixée par les joueurs de la dernière fois. J'ai pu la résumer en quelques phrases. Il a alors suffit de faire choisir l'archétype et l'arcane majeur. Ça a pris exactement 17min. Je pense qu'on a atteint le quart d'heure incompressible pour créer un personnage. Un joueur non initié prendra forcément plus de temps, même avec un tirage aléatoire de l'arcane.

Briefing

La partie a commencé par l'explication des règles de résolution. Je ne suis pas entré dans les détails du Mnémos, mais il a tout de même fallu que j'explique
  • La notion de rites (=manœuvre) car c'était le premier PbtA du nouveau joueur.
  • Le fait que j'étais en improvisation et que les joueurs avaient une large autorité sur la narration.
  • Le tirage des arcanes mineurs pour résoudre les rites.
  • Le choix, lors d'une réussite avec complication, de choisir soit la complication soit la réussite et que le MJ choisissait l'autre.
  • Le système des arcanes majeurs qui offre une réussite parfaite mais déclenche le Mnémos
  • Le système des symboles qui se chargent et se déchargent et la notion de réussite symbolique.
  • L'utilisation des plateaux de jeu/fiches de perso et des docs pour les cartes, l'archétype et les symboles.
Ce que j'ai oublié de dire ou que j'ai mal dit:
  • Préciser le contrat social du jeu, c'est à dire que c'était un jeu à énigme, mais que les énigmes n'étaient pas forcément décidées dès le début de la partie.
  • Dire que mon rôle était d'être le plus grand fan des personnages des joueurs, de les mettre en valeur, mais que pour ça je devais leur pourrir la vie.
  • Dire que pour l'intérêt de l'énigme je devais toujours avoir une longueur d'avance sur eux et leurs hypothèses, mais que je devais improviser afin de garder cette longueur d'avance tout en prenant en compte les éléments que les joueurs apportaient.
  • Si vous vous sentez plus à l'aise en prenant pour point de départ le monde de Nephilim, vous avez le droit, mais considérez que ce sont les certitudes de votre personnage et qu'elles ont toutes les chances de voler en éclat.
  • Un symbole n'a pas de sens en soit. Vous pouvez l'inclure dans votre narration sans avoir une idée préconçue de son sens. Le sens émergera de la récurrence du symbole.
  • Les réussites symboliques sont la magie. Donc vous pouvez décharger un symbole en décrivant un rituel magique effectué par votre personnage.
On s'est ensuite rappelé du contenu de l'époque commune, les joueurs ont présenté leurs personnages respectifs. On a décidé que les Nephiloth avaient le nom de leurs hôtes à l'époque de la guerre de Troie :
  • Pâris, Satyre du Jugement, incarné dans un contrôleur des impôts
  • Cassandre, Chimère de l'Hermite, incarnée dans une blogueuse adolescente en fauteuil roulant.
  • Énée, Naïade de la Papesse, incarné dans un libraire du Vieux Lyon

La partie

On a commencé par le rite d'Atlantis. Les trois joueurs ont tiré une lame supérieure à la mienne, donc on avait une réussite avec complication dans tous les cas. J'ai demandé au nouveau joueur (Énée), de gérer le rite afin qu'il se mette dans le bain. Après quelques hésitations, il choisit
  • Tu as acquis un objet énigmatique qui a été détruit ou subtilisé. A laquelle de tes sœurs avais-tu parlé de cet objet ?
On décide qu'il s'agit d'un livre du 18e siècle. Hors, Pâris s'est incarné au 18e siècle, il était le Marquis de Sade. On décide donc qu'il s'agit d'une bible qui a appartenu à Sade. Pâris est donc la Nephila à qui Énée a parlé.

Sentant que le joueur ne parvient pas à poser une scène lui-même (normal, je ne lui avait pas communiqué la réussite que j'avais choisi) je prend la main sur la narration. Il s'agit d'une vente aux enchères. Les objets sont préalablement exposés dans la gare des Brotteaux. Je note dans ma tête qu'à l'issu de la vente elle-même il ne devra pas obtenir l'objet. Mais je cadre la scène la veille de la vente, lorsqu'Énée en compagnie de Cassandre, effectue sa deuxième visite de la collection. Il remarque la présence d'un homme aux cheveux long et à la longue barbe qui était déjà là la première fois. Il s'agit de la réussite
  • Tu as pris conscience d’une coïncidence. Avec laquelle de tes sœurs échangeais-tu des informations ?
Remarquez que la question n'était pas forcément adaptée à la situation et que j'ai dû à la place imposer la présence de Cassandre.

Le joueur d’Énée veut en savoir plus sur cet inconnu. On gère son enquête par le rite de Rome. Plus tard, il me dira qu'il aurait voulu "passer en vision Ka", ce qui avec ce système correspond à une réussite symbolique. Mais l'information n'étant pas passée, on était de fait restreint aux réussites normales. Cassandre aide la manœuvre et ils obtiennent une réussite avec complication. Encore une fois, le choix entre complication et réussite est assez long, mais le joueur choisit la complication
  • Tu déranges une activité occulte
Et moi la réussite
  • Tu découvres un lieu ou un objet chargé
Les joueurs me laissent commencer à narrer mais interviennent en réponse à mes questions. L'inconnu est aux aguets, proche de la sortie. Deux hommes baraqués fendent la foule vers lui, bousculant une dame qui aidait Cassandre à franchir un obstacle avec son fauteuil. L'inconnu s'enfuit, Énée à ses trousses. Cassandre fait un scandale qui ralentit considérablement les deux hommes. Elle peut les prendre en photo qu'elle envoie directement à Pâris. Pâris remarque sur le cou d'un de ces hommes un tatouage d'une figure voilée. Symbole = voile.

Pendant ce temps, l'inconnu se laisse rattraper par Enée, lui tend un carnet en lui disant "ma sœur, je vous confie ceci" et disparaît.


Les deux hommes sont déjà loin quand Cassandre parvient à sortir de la gare. Elle lance sur son blog un défi à ses followers: retrouver deux hommes dans Lyon. On gère ça par un rite de l'hôte (sûrement le rite qui m'est apparu le plus adapté de toute la soirée) car c'est le savoir-faire de son personnage qui est mis en jeu. Le joueur me laisse décider de la complication et choisit
  • Tu impressionnes ton public
Le rite de l'hôte implique une réussite de l'action, donc le joueur de Cassandre décrit comment les deux hommes sont retrouvés et pris en photo alors qu'ils passent un voile pour entrer dans un immeuble des pentes de la Croix-Rousse. Le symbole du voile passe devant le joueur de Cassandre.

J'essaye d'enchaîner, mais le joueur de Cassandre me demande la complication. Certes, j'avais oublié. Je lui dit que la formulation sur son blog est trop facilement lisible "Je recherche des amis que j'ai connus à une autre époque". C'est la complication
  • Tu révèles contre ton gré ta véritable nature
Mais les conséquences ne sont pas immédiates, non plus que j'annonce vraiment une menace. Décidément, je suis trop gentil, ou pas assez pugnace, pour rendre important les choix des personnages.

A partir de l'adresse, Pâris enquête sur les registres des impôts. On hésite beaucoup. Il propose un rite de Rome, mais comme ce n'est pas sur le terrain je propose plutôt de résoudre ça par un rite d'Alexandrie. C'est le premier échec de la soirée. Néanmoins un rite d'Alexandrie apporte toujours au minimum "une information occulte parcellaire et peu détaillée". Il apprend donc que le local appartient à une association loi 1901 signalée par la Miviludes comme un mouvement sectaire. L'identité civile du gourou est inconnue mais il est surnommé Thot par les adeptes. J'oublie d'appliquer les conséquences qui doivent accompagner un échec. Les joueurs consultent le dictionnaire des symboles et décident que Thot est un Symbole, qui entre en jeu devant moi.

Là dessus, les PJs se retrouvent chez Pâris. Énée déchiffre le carnet. Il a été rédigé à la fin du 19e siècle par Heinrich Schliemann, le découvreur du site archéologique de Troie. On a rejoins ma préparation, donc je donne les bonnes feuilles de ce carnet aux joueurs. Le joueur de Pâris ouvre la page Wikipedia correspondante et y trouve plein de détails croustillants. Cette page est un document ajouté au Corpus, donc on tire un arcane majeur qui s'ajoute à la main des PJs : le Pape.

Cassandre empreinte la carte bleue de Pâris pour s'inscrire sur des sites payants de généalogie qui lui permettent d'en savoir plus sur la descendance d'Heinrich Schliemann. On résout ça encore par un rite d'Alexandrie, mais les réussites ne sont pas très adaptées. Mes réponses non plus d'ailleurs. Plutôt que de donner des infos sur la descendance de Schliemann je continue à réciter ma préparation en donnant des informations sur la maison que Schliemann a fait construire à Athènes et dont le toit était orné des statues des muses, jusqu'à leur disparition pendant la seconde guerre mondiale. Symbole=Muses. Pour ceux qui suivent les muses étaient déjà importantes lors de l'aventure précédente. Cassandre était d'ailleurs en stase dans la statue de la muse de l'Histoire qui décore le toit de l'Opéra de Lyon.
Le joueur avait choisi la complication
  • Tu deviens une proie facile
Et moi la réussite
  • Tu obtiens un symbole
Sauf qu'encore une fois je ne suis pas arrivé à mettre en place une menace crédible qui correspond à la complication.

Cassandre réserve immédiatement (grâce à la carte bleue de Pâris) des billets d'avion pour Athènes. Pour blaguer, le joueur de Cassandre ajoute qu'il a réservé des chambres à l'hôtel Ibis, car Ibis = Thot. Je dis bingo ! C'est exactement le genre de récurrence de symboles a priori dépourvu de sens que je veux. Le sens arrivera de lui-même plus tard. Le symbole de Thot passe donc devant le joueur de Cassandre.

Le joueur d’Énée aimerai dire que son personnage a connu le Voile Lumineux et Thot autrefois, quand il était incarné en Egypte. Je lui précise qu'il n'a normalement pas l'autorité pour le faire, sauf dans deux cas:
  1. si lors d'un rite il décharge un symbole pour choisir une réussite symbolique qui a trait au passé
  2. lors d'un Mnémos où il a toute autorité sur les souvenirs de son personnage. Le Mnémos se déclenche lorsque le joueur décide d'utiliser un arcane majeur à la place d'un arcane mineur tiré.
Je lui propose de jouer la vente aux enchères elle-même comme un rite d'Athène. Ainsi ça lui donnera l'occasion de déclencher l'un ou l'autre de ces effets. Le joueur décide de déclencher les deux. Aucun symbole n'étant encore chargé, il décharge son archétype, la Naïade. Il décide de décrire une coupe (symbole listé dans le portrait chinois de la Naïade) mise aux enchères juste après la bible de Sade. Je tire un deux de Denier, il tire une autre lame mineur mais la recouvre immédiatement par l'Hermite, en provenance de la main des arcanes majeurs. Il y aura donc Mnémos où seront présent la voie de l'Hermite et des Illuminés, mais avant ça il a droit à deux réussites dont une réussite symbolique. Il choisit
  • Tu fais douter.
  • Tu comprends les motivations profondes ou cachées.
Il explique qu'il attire l'attention de ses adversaires aux enchères pour l'achat de la Bible sur la coupe, les faisant ainsi douter. Je décris que son adversaire est une grande bourgeoise qui fait monter les enchères. Mais que ses intentions profondes sont d'obtenir la coupe et non la bible. Énée obtient la bible et la bourgeoise la coupe.

On gère alors le Mnémos. Le joueur d'Énée commence une narration à la troisième personne. Je l’arrête pour lui préciser qu'un Mnémos est forcément subjectif, commence par "Je me souviens", se termine par "C'est tout ce dont je me souviens" suivit par des questions des autres personnages auquel son personnage peut couper court en disant "J'ai oublié". Il décrit alors comment à l'époque de la bibliothèque d'Alexandrie, le Voile Lumineux était un groupement de Nephiloth, dont Thot, qui mettaient sous scellés dans la bibliothèque tous les documents portant encore trace des Nephiloth. Les Illuminés ont préféré détruire la bibliothèque, faisant ainsi disparaître toutes ces sources. Après quelques questions des autres joueurs, on interrompt le Mnémos.

Pâris n'a qu'une envie, c'est de savoir qui est la grande bourgeoise et pourquoi elle voulait cette coupe. Il décrit comment il s'approche du commissaire priseur avec sa carte professionnelle de contrôleur des impôts afin d'obtenir l'adresse de l'acheteuse. Il aimerait résoudre ça avec un rite de Rome. Il me semble que c'est un rite d'Alexandrie. Réussite avec complications. Il choisit la complication
  • Tu blesses l’orgueil
Et comme il n'y a pas beaucoup de choix qui correspondent, je suis bien obligé de choisir la réussite
  • Tu soutires une information
Le dialogue est joué, Pâris sous-entend que la provenance des objets est douteuse. Le commissaire-priseur se rebiffe et déclare que tout vient de la collection Théopoulos, un nom qui était mentionné dans le carnet de Schliemann. Pâris obtient aussi le nom de l'acheteuse.

Il est 22h55, on arrête la partie pour débriefer.

Debrief

Le debrief est intense est se termine à 1h du matin. J'en retiens plein de point positifs, mais je vais me concentrer sur les points à améliorer. Je m'appuie aussi sur des mails envoyés un peu plus à froid par les joueurs le lendemain.

Les deux points les plus discutés ont été
  1. Le peu de conséquences négatives des choix des personnages. En particulier, lors des échecs et des complications, ce qui s'explique par le manque de manœuvres de MJs et par ma difficulté à imposer des conséquences négatives. Mais plus largement l'impression que le choix d'une méthode d'action plutôt qu'une autre (source de roleplay) avait peu d'importance sur la fiction. Si je force le trait, notre partie quasiment totalement improvisée donnait l'impression d'être linéaire ou dirigiste.
  2. Mais quel est le contrat social du jeu ? Comment se concilie le plaisir intellectuel de la résolution d'énigme avec la narration partagée, avec un univers qui se crée de façon collaborative ? C'est une question que j'ai déjà évoqué ici, mais devoir défendre ma vision des choses en direct face à des contre-arguments m'a permis de bien préciser ma pensée. J'y dédierai un article dans les jours à venir.
Le premier point est aussi lié à une impression globale que le système de rite est inadapté, soit dans les détails (conséquences peu adaptables à la fiction), soit dans son principe de fonctionnement (trop de choix : choix du rite, choix réussite vs complications, choix de l'item dans la liste). J'avais déjà simplifié par rapport à Magistrats et Manigances, mais il va falloir encore simplifier, d'autant que ce n'est maintenant qu'un système parmi d'autres.

D'ailleurs, le système des symboles a été encensé. Les joueurs m'ont demandé plus de symboles, une lecture plus symbolique des tirages, etc. Les phrases rituelles en début de partie et pour cadrer le Mnémos ont été aussi très appréciées. Est-ce qu'il en faut plus ?

Les joueurs rapportent aussi les points suivants
  • La description des rites est compliquée à intégrer. L'idée de leur noms est plaisante au départ "rite de Rome" , "rite de Syracuse" mais ces noms ne renseignent en rien sur ce que les rites permettent de faire.
  • La probabilité de réussite parfaite est faible et il y a très peu de moyen de l'améliorer.
  • Le plateau de jeu est bien et très utile, mais il faut continuer sur les aides de jeu pour renforcer l'ergonomie. Par exemple, il faudrait une aide de jeu pour résumer les 4 arcanes mineurs.
  • Il faut aussi des aides de jeu pour le MJ afin de l'aider à gérer les résultats des rites, de lui donner une méthode pour gérer les conséquences négatives, de lui baliser l'improvisation des énigmes et le tuning d'hypothèses.
  • Si tout fonctionne par 4, pourquoi il n'y a pas 4 types de condition sur la feuille de personnage ?
Donc voilà, la planche est bien recouverte de pain et j'ai beaucoup de choses à penser.

jeudi 16 mai 2019

Fiche de personnage efficace


La table de jeu traditionnelle est présidée par le MJ derrière son écran, entouré par les joueuses ayant chacune une fiche de personnage. Cette disposition reflète bien la structure du jeu. L'écran du MJ lui permet d'avoir un accès rapide aux règles les plus fréquentes, de cacher ses notes de préparation, voir de tricher avec les jets de dés. Le centre de la table est occupée par les chips, ou par une bougie pour l'ambiance.

La fiche de personnage d'un jeu de rôle traditionnel est modelée sur une fiche d'actifs d'une compagnie d'assurance (le métier de Papy Gygax). Le but est de contenir la liste de toutes les compétences, l'équipement, les sorts, etc. Dans Nephilim c'est monté jusqu'à 4 pages de listes écrites petit. Il y a souvent un élément sur la première page qui l'aère un peu, comme par exemple le dessin du pentacle élémentaire dans Nephilim, ou un cadre laissé blanc pour pouvoir dessiner son personnage.

A vrai dire, j'ai très vite laissé tombé l'écran. C'est exigu, je fais confiance à mes joueurs pour ne pas essayer à tout prix de lire mes notes de préparation, autrefois je me moquais bien des règles et je n'ai jamais eu besoin de faire un jet en secret pour décider ce qui était intéressant pour l'histoire. Et cet écran ne reflète plus du tout la structure des jeux modernes ou l'autorité est plus largement partagée. C'est simple, je ne pense pas avoir joué à un jeu ayant un écran depuis 4 ans.

Certains des jeux auquel je joue n'ont plus de fiche de personnage (la clef des nuages, Coma, Un dernier verre) ou alors une feuille blanche suffit (Swords without Master). Pour ceux qui ont des fiches de personnage, la conception s'est énormément épurée. Un exemple, la fiche de Prospopée tient sur un A5 et est principalement graphique, très aérée. Il n'y a que 11 cases qui peuvent contenir une coche ou un nombre, une ligne pour inscrire les noms du personnage et au total 19 mots imprimés. Je viens de compter 21 mots sur la fiche de Polaris, 24 sur celle de Dogs in the Vineyard, 25 pour Démiurges. My life with Master compte plus de mots, mais c'est prace que les règles y sont résumées. Résumer ainsi les règle sur la fiche de personnage au lieu de l'écran du MJ les met à la portée des joueurs et participe à la redistribution de l'autorité.

Quelques jeux utilisent le centre de la table pour matérialiser la structure du jeu. Dans Psy*Run, les personnages sont en fuite et à chaque nouveau lieu traversé on ajoute un post-it sur la table. Ensemble ces post-its représentent la piste que laissent les personnages et que remonte leurs poursuivants. Pour jouer à Prosopopée on pose au milieu de la table une feuille imprimée, le "cercle des couleurs", qui permet de tenir à jour l'état du jeu. Les joueuses y notent les problèmes rencontrés, les modifient ou les effacent en fonction des actions entreprises.

La famille des jeux "propulsés par l'apocalypse" (PbtA), c'est-à-dire inspiré par Apocalypse World, a un parti pris de conception différent. On ne parle plus de fiche de personnage, mais de "playbook". On pourrait traduire ça par livret, mode d'emploi, programme. Pour chaque type de personnage il y a un playbook qui va lister les règles spécifique à ce type de personnage. Le playbook sert de guide à la création de personnage, de référence de règle pendant le jeu et permet aussi de suivre l'état du personnage (caractéristiques, relations, équipement, dégats, experience, etc.) comme une fiche de personnage classique. L'idée derrière est que la joueuse n'a besoin que de son playbook pour jouer (et de la liste des manœuvres communes à tous les personnages). Plus besoin d'ouvrir le livre de règles.

C'est en lisant ce message que j'ai compris que je devais me mettre sérieusement à concevoir la disposition de ma table de jeu. J'ai bien senti lors du dernier test que le système de jeu de Nephiloth ne s'explique pas en quelques phrases. Il y a besoin de manipuler des cartes et des post-it. Du coup, pour jouer efficacement, pour apprendre à jouer rapidement, la disposition de la table de jeu doit être ergonomique.

Voilà mon point de départ : un playbook qui donne les règles nécessaires pour jouer avec un arcane majeur, et des champs à remplir lors de la création de personnage.
Cette feuille était peut-être adaptée au jeu avec des dés. Mais depuis, le jeu utilise des cartes de tarot que l'on passe et que l'on conserve pour matérialiser les avantages tactiques et les conditions physiques, profanes ou magiques subies par le personnage. Le système de symboles qui se chargent nécessite aussi que des post-its s'échangent entre joueuses et soient disposés à des emplacements bien identifiés.

Mes réflexions m'ont très vite amené à m'inspirer du jeu de plateau 7 wonders d'Antoine Bauza auquel je joue beaucoup. Dans ce jeu, chaque joueuse développe une cité, matérialisée par un plateau cartonné. Au fur et à mesure du jeu, la joueuse pose des cartes autour de ce plateau. La disposition des cartes suivant leur nature et leur utilisation est prescrite par les règles et suggérée par la conception graphique des cartes et du plateau, ce qui rend le jeu ergonomique et lui donne une grande lisibilité, malgré un nombre de cartes important (de l'ordre de 18 cartes posées par joueuse, jusqu'à 7 joueuses).

Disposition typique d'une partie de 7 wonders (ici 4 joueuses), et la partie n'est pas terminée. Source: l'as des jeux.
Du coup, il m'est venu l'idée de créer un tel plateau pour Nephiloth, qui prescrirait où poser les cartes et les post-it et servirait de playbook. Voilà une première version :
Version 1 du plateau, en couleur
Le format correspond à une feuille A5 paysage, facile à disposer devant soit malgré l'encombrement de la table. Des emplacements sont matérialisés dans la marge de droite et la marge inférieure pour disposer respectivement une et 3 cartes. Comme dans 7 wonders, seule est représenté l'extrémité de la carte qui doit être posée à cheval entre le plateau et le reste de la table. Dans la marge supérieure, j'ai matérialisé l'emplacement pour 5 post-its, dont un qui représente l’archétype de la Nephila. Le corps du texte, en 3 colonnes, remplis la fonction de playbook, avec l'exposé des règles nécessaires pour jouer le personnage. Il y a seulement 3 endroits à remplir: le nom du personnage (inséré dans une phrase) une description libre de l'hôte, et des réussites symboliques initialement vierges qui seront remplies lorsque le personnage progressera. En gris, des indications sur comment utiliser le plateau, comment son utilisation s'intègre dans le reste du système de jeu.

Mais je me suis fais la réflexion que ce plateau serait rarement imprimé en couleur et j'ai donc repris ma mise en page en niveaux de gris.
Version 2 du plateau, en niveaux de gris
Garder la lisibilité sans l'aide de la couleur peut être compliqué. J'avais choisi une police de caractère de type "humane" car inspiré par les humanistes de la Renaissance. Ça donne un côté érudit et quêteur de sapience tout à fait dans le ton du jeu. L'utilisation des petites capitales pour les titres les plus gros donne un côté solennel et antiquisant. En particulier, le nom de l'arcane majeur est en petites capitales, raccord avec son numéro en chiffres romains. L'injonction de l'arcane, formulée à la troisième personne de l'impératif "[Mon personnage] doit [...]", devient une phrase rituelle à prononcer en début de session. Elle aussi est en petites capitales. Autant les noms du pouvoir, de l'influence et de la manœuvre sont esthétiques et peuvent être peu lisibles, autant les titres fonctionnels comme "échec", "complications", "réussite" doivent être immédiatement lisibles. Je n'utilise donc pas les petites capitales mais le gras pour les détacher du texte. Enfin, les précis de règles sont en italique et en grisé afin de moins attirer l’œil et de donner une impression de note de marge, tout en restant parfaitement lisibles.


J'ai aussi distingué graphiquement l'emplacement (hachuré) de la carte de droite, un avantage qui doit est tiré façon cachée utilisé une unique fois, des emplacement du bas (fond blanc mais trait double) qui représentent des conditions affectant le personnage à moyen terme. Ces cartes sont montrées face visibles pour que leur valeur puissent être utilisé par le MJ lors des tirages.

Enfin, j'ai ajouté plus de précis de règles qui rappellent la façon dont un rite se résout, que les conditions restent en place, ou indiquent l'état initial du symbole de l'archétype. D'ailleurs, je pense que l'archétype sera sur une petite carte imprimée à part reprenant son portrait chinois, son élément, son humeur et son illustration.

Version 3 du plateau, pour que les autres participants voient.
Ici, seul change l'alignement et l'orientation de certains texte. Les lignes de base des premières lignes des 3 colones sont alignées. Ca fait plus propre, et ça renforce la prééminence du nom de l'arcane, dont le haut est visuellement au dessus les trois colonnes.

Plus important pour l'ergonomie, le texte "symbole" est retourné. Ca indique que les symboles doivent être disposés ainsi, lisible par les autres joueuses et non par la joueuse qui les a déjà partiellement chargé. Souvenez-vous, un symbole se charge en deux étapes. Le symbole commence devant le MJ. Une première joueuse l'utilise dans sa narration et le prend pour le disposé devant elle, tourné vers les autres joueuses. En effet, il faut qu'une seconde joueuse utilise le symbole dans sa narration pour que celui-ci soit complètement chargé et donc utilisable. On le place alors proche des pioches de carte, prêt à servir.

Edit du 18/05/2019: Suivant les remarques de Frédéric Sintès, j'ai aligné les lignes de base des trois colonnes. Ça donne un ensemble plus lisible.
Version 4 du plateau, avec les lignes de base alignées.
 

Il ne reste plus qu'à tester.

mercredi 8 mai 2019

Compte rendu: le soleil de Normandie

Je continue prendre des joueurs comme cobayes. Et comme les joueurs locaux sont difficiles à rassembler, on teste en ligne.

Rappel des personnages

Ces deux joueurs avaient eu droit à un test de création de personnage tout pourri, puis à un deuxième test plus concluant mais qui a tout de même pris deux bonnes heures, sans que les époques solo ou les hôtes actuels n'aient été déterminés.

A l'issue de cette création de personnages, on avait donc un Chat suivant la voie de l'Impératrice Chat et un Cyclope suivant la voie de l'Empereur. La phrase à trous de leur époque commune était
A l’époque de la chute du Japon impérial.
Nous voulions permettre aux Nephiloth de survivre à la fin de l’alliance impériale.
Alors que les Mystères voulaient abattre les Nephiloth identifiés.
Alors que le Bâton voulait laisser ses agents en place malgré les crimes de guerre.
Nous avons passé un pacte de Ka pour retirer son statut divin à l’empereur et ainsi assurer qu’il ne soit pas déchu.
En conséquence, le Denier a pu imposer une constitution pacifiste et damer le pion au Bâton.
On avait posé ensemble les rôles suivants pour les arcanes majeurs à l'époque:
Bâton : armée américaine et ancienne famille de Samurai
Epée : cultes Shinto, lynchage d’étrangers
Denier : industrialisation, idéal impérial, mécanique quantique, projet Manhattan
Coupe : Bouddhisme Zen, Bushido, Kamikaze
Détail d'importance : cette création de personnage a eu lieu fin Février et nous avons dû attendre début Mai pour faire un test de partie.

Ma préparation

Vu l'enjeu qu'avait représenté la figure de l'empereur du Japon dans l'époque commune, je me suis renseigné sur l'institution impériale. J'ai creusé l'actualité de la famille impériale, les règles de succession, la place des femmes, les branches cadettes, etc. Je me suis constitué une chronologie très subjective. Dès que je rencontrais un fait historique qui pouvait avoir une interprétation occulte (ou plus généralement conspirationniste), je l'ai noté. Et au bout d'un moment, je suis tombé sur un fait divers tellement insolite, avec des coïncidences si énormes que j'ai décidé d'en faire le point d'accroche de la première session.

J'ai accumulé le plus possible de documents réels autour de ce fait divers : article de journal, page de livre, photographie d'époque des protagonistes, repérage des lieux sur Google streetview, etc. J'ai réussi à rassembler tout ça via ma connexion internet, bénie soit-elle.

Est-ce que j'ai interprété tout ces éléments via le filtre de Nephiloth ? Je ne peux pas nier que j'ai quelques hypothèses, mais rien de fermement établi. Et puis si le rôle du MJ peut être de rebondir sur les hypothèses des joueurs sans fixer la vérité dès le début de la partie, autant ne pas trop gamberger tout seul et laisser la partie d'interprétation amusante se dérouler en jeu. De plus, j'ai déjà bien assez travaillé comme ça avec toute cette préparation !

La partie

J'ai commencé par exposer les règles de résolution de rites aux joueurs, ainsi que l'utilisation des symboles et le corpus. J'ai aussi évoqué le Mnémos, mais ça commençait à faire beaucoup. Les joueurs m'ont fait remarqué que cette exposition des mécaniques était sûrement trop longues. Je dois trouver un moyen de présenter ça par un discours plus synthétique et par des aides de jeu.

Ensuite, j'ai été trop pressé de tester le rite de début de session. Il y a eu plusieurs faux départs. D'abord les joueurs ne se souvenaient plus vraiment de leurs personnages. On a pris le temps de relire les notes de création de personnage et leurs arcanes. Ca me fait dire qu'une création de personnage trop distante de la première partie n'est pas bon. Je devrais raccourcir la création de personnage pour qu'elle puisse se faire en début de séance.

Ensuite, j'ai demandé à chaque joueur de lire à haute voix l'injonction de son arcane pour lancer la partie de façon rituelle (l'un des joueurs a été surpris). Là, on a commencé à tirer les lames de tarot pour résoudre le rite d'Atlantis : les deux joueurs ont tirés des lames arcanes mineurs strictement supérieures à la mienne, donc quel que soit le joueur qui gère le rite, on était dans le cas d'une réussite avec complications.

Soit dit en passant, un tarot de Marseille traditionnel ça en jette, mais les valeurs des arcanes mineurs (hors figures) sont difficilement lisibles. Les chiffres romains pas standards (VIIII par exemple) et tout petits c'est la plaie.

L'un des joueurs (Cyclope Empereur) s'est lancé et a choisi la complication "Tu es l'objet de pressions ou de menaces. Laquelle de tes sœurs pourrait te protéger ?". Je choisis donc la réussite : "Tu as appris l'existence d'un événement qui se répète. Laquelle de tes sœurs t'a décrit une de ces instances ?". On précise que "sœurs" désigne les membres du pacte, donc uniquement l'autre PJ, donc les questions sont rhétoriques. Par contre, le joueur n'arrive pas à commencer sa narration, et pour cause : on n'a aucune idée de la situation actuelle des personnages ! "On est toujours au Japon ?" demande le joueur. J'avais oublié à quel point la création était inachevée, sans l'hôte actuel, sans même situer géographiquement les personnages. Je rectifie rapidement le tir en posant qu'ils sont tous les deux en France, et je précise même "en Normandie", pour coller avec ma préparation. Le joueur hésite encore beaucoup devant la page blanche. Je propose de narrer, mais il a une idée, je le laisse faire.

Le joueur pose alors que son hôte est garagiste et qu'il vient d'être racketté par un type louche, sûrement mafieux. Il appelle au téléphone sa sœur à la rescousse. Lors de ce dialogue, on se rend compte qu'un nom est absolument nécessaire pour les personnages. On ne peut simplement les appeler par le nom de leur arcane. On a donc Paul le Cyclope et Synanhe le Chat.

Le joueur de Synanhe pose que son hôte est journaliste et blogeur, spécialisé dans l'analyse des fake news. Il habite en bord de mer et décide de rejoindre Paul à son garage "à bord de ma 405 Peugeot". Ca me donne la passerelle parfaite vers ma préparation. Alors qu'il est sur une ligne droite de nationale, à hauteur de Perrier-la-campagne, il est envahis d'une sensation magique désagréable alors que son hôte semble reprendre le contrôle. Lorsqu'il reprend conscience, sa voiture est déjà dans le champ, du côté opposé à la route. Je considère qu'il agit malgré le danger et lui demande de résoudre un rite de Syracuse.

Il tire une lame d'arcane mineur (4 d'épée) de valeur supérieure à la mienne (2 de coupe). Mais il décide alors de la remplacer par une lame d'arcane majeur, en l'occurrence la sienne, l'Impératrice, afin de déclencher un Mnémos. C'est donc une réussite parfaite et il choisit deux réussites :
  • Tu obtiens un avantage tactique.
  • Tu obtiens un symbole lié au danger.
Le joueur décrit qu'il sort de sa voiture, fait quelques pas et s'effondre. Avant qu'il ait pu reprendre ses esprits, une voiture s'arrête. En sortent deux hommes habillés exactement de la même façon qui se dirigent vers la voiture accidentée. L'un vole les affaires (ordinateur) de Synanhe, l'autre s'agenouille prêt à l'achever. Synanhe, faisant le mort, aperçoit à son poignet un bracelet gravé d'un soleil à l'horizon. C'est le joueur qui pose ce symbole, je laisse faire. Une sirène de police retentit et s'approche, les deux hommes repartent au plus vite.

On passe au Mnémos. Les contraintes sont de se confronter à la fois à la voie de l'Impératrice et à l'arcane mineur de la Coupe. Le joueur décrit son personnage au Japon, pendant la guerre. Lui sait que les nouvelles sont mauvaises, mais son rôle de journaliste et propagandiste est de les faire passer pour bonnes. Deux envoyés du gouvernement entrent dans son bureau et le pressent d'inciter les jeunes pilotes à mener des attaques suicides lors des opérations contre la flotte américaine. Il remarque le même bracelet gravé d'un soleil à l'horizon à leurs poignets. Une fois repartis, il hésite. Doit-il refuser cet ordre qui va à l'encontre de ses convictions, qui dénature l'esprit humain et avili sa quête ? Ou doit-il
chercher à tout prix à conserver sa position dans l'appareil de propagande, ce qui lui permettra de sauver des Nephiloth à la fin de la guerre ? "C'est tout ce dont je me souviens".

S'en suit des questions posées par Paul à travers le pacte de Ka. Si les premières questions ont porté sur l'événement passé (qui étaient ces hommes ?), les suivantes ont dévié sur le rapport entre l'événement passé et le présent. J'ai trouvé ça moins adapté, le joueur de Synanhe aussi, vu qu'il a répondu purement du point de vue passé. C'est à affiner. En tous cas, la dernière question est revenue au Mnémos. "Qu'as-tu choisi de faire finalement ?" "J'ai oublié", ce qui conclue le dialogue.

De retour au présent, j'ai repris la narration pour finalement insérer la répétition de l'événement (promise par la réussite du rite d'Atlantis, tout au début). Dans l'ambulance, Synanhe surprend une conversation des brancardiers : ils sont intervenus exactement au même endroit quelques mois plus tôt pour un accident. Le soir du même jour, Synanhe retrouve finalement Paul à son garage. On peut compter là deux manoeuvres de MJs: révéler une coïncidence et cadrer une scène.

Lors de la confrontation des informations, je pose que Paul a justement dépanné la voiture de l'accident précédent. Il n'a donc aucun mal à retrouver la date et donc un article de presse qui relate l'accident (il ne l'avait pas lu à l'époque). Encore une manoeuvre de MJ : ajouter un document (préparé) au corpus.

Une première théorie se fait jour. La voiture à l'époque n'avait pas freiné. Synanhe non plus, pas plus que son hôte pourtant aux commande. Synanhe suggère un lien avec les kamikaze, donc avec les expériences de la Coupe auquel il a d'ailleurs participé dès les années 1920, qui poussaient un humain au sacrifice.

Paul décide d'aller à la casse pour retrouver l'épave de la voiture de l'accident précédent. Synanhe suit. Paul introduit la symbolique du Cyclope dans sa narration, et ce symbole est chargé. Il améliore donc sa réussite avec complication au rite de Rome en déchargeant ce symbole, ce qui lui permet de choisir la réussite symbolique "Tu remontes une piste magique", en plus de la complication "Tu éveilles l’attention les profanes". Pour ma part je choisi la réussite "Tu découvres un lieu ou un objet chargé" et je n'oublie pas le symbole qu'apporte forcément le rite de Rome. Ca fait beaucoup de choses.

Le symbole c'est le véhicule. La piste magique est liée à la stèle dans laquelle la voiture s'est encastrée. Dans la boîte à gants il découvre un peigne japonais chargé de magie de l'eau. Le joueur décrit que lorsqu'ils ressortent de la casse, ils croisent le mafieux qui rackette aussi le gérant de la casse. C'est donc ce profane dont l'attention est attirée.

La partie est alors interrompue par l'heure (~2h15 de jeu au total, explication des règles comprise).

Debrief

  • Longueur de l'explication des règles de façon abstraite, qui nécessite forcément  une réexplication au moment de les appliquer.
  • Gros patinage au démarrage faute de contraintes, mais aussi à cause du temps écoulé depuis la création de personnages.
  • Difficulté à prendre la mesure de son autorité narrative (plus large que ce que le joueur pensait au départ).
  • Est-ce que ça marche quand aucun des joueurs n'a connu Nephilim ?
  • Quelle était ta préparation ? Pourquoi ça a si bien collé avec ce qu'on inventait librement ?
  • Générateur d'histoire efficace, grand potentiel.
Mon impression a moi a été très positive, malgré les cafouillages du début. Le rite d'Atlantis a très bien fonctionné. Les joueurs ne se sont jamais demandé "mais pourquoi mon personnage fait ça ?". Il y a eu une véritable synergie entre les apports des joueurs et les miens. Je n'étais pas un meneur suant et soufflant pour garder une longueur d'avance sur les joueurs afin de les diriger. Au contraire, les joueurs ont été les moteurs créatifs de la partie et je suivai tranquillement derrière et profitant du paysage. Je n'ai pas cherché à les cadrer mais à rebondir sur leur créativité, ce qui s'est fait sans effort. J'ai fais 3 manœuvres alors que les joueurs ont eu 3 rites et un Mnémos.