dimanche 15 décembre 2019

Conditions, Conséquences, Chutes

Je vous ai dit il y a peu que j'avais du mal à gérer les complications dans Nephiloth. Comme c'est un problème qui me suis depuis plus d'un an à travers plusieurs itérations du système, j'ai fini par prendre ce défaut pour moi, personnellement.
Dans ma pratique de MJ tradi, j'étais un "gentil" qui avait du mal à frapper fort sur les PJs. Dans un système de résolution de tâches, un mauvais résultat aux dés indique un échec et c'est assez facile à gérer. Il faut juste décrire comment le PJ n'arrive pas à faire ce qu'il voulait. Mais dans pas mal de jeux plus récents, l'histoire est envisagée de façon plus globale et un mauvais jet de dés engendre des "complications" qui ne sont pas forcément en rapport avec la réussite ou l'échec de l'action. Dans un jeu d'enquête, c'est a priori plus intéressant que le jet d'enquête raté permette quand même d'obtenir un indice mais avec complication. Et moi j'ai du mal à décrire ces complications, à vraiment taper fort. Et a fortiori à concevoir un système sur lequel je pourrais m'appuyer pour générer des idées de complications qui le soient effectivement utiles en jeu.
Mais toutes les personnes qui ont bien voulu répondre à mes interrogations (allez poser des questions sur les Courants Alternatifs, c'est super enrichissant !) m'ont suggéré des façons différentes de gérer ces complications qui ne sont pas forcément des échecs. A force de bons conseils, je me suis rendu compte que je m'étais un peu embrouillé entre deux concepts :
  • l'enquête en "fail forward", c'est à dire que même un échec fait avancer l'histoire, 
  • la résistance du monde, ce qui fait qu'une action peut tourner mal d'une façon qui doit fortement dépendre du message du jeu
Nephiloth provient en droite ligne de Magistrats et Manigances. Lorsque j'ai commencé à travailler sur Nephiloth, j'ai récupéré la façon M&M de gérer les deux points ci-dessus. A chaque résolution, il fallait donc choisir 3 traits qui faisaient forcément avancer l'histoire : certains en fournissant des éléments pour l'enquête, d'autres en générant des situations problématiques. Déjà lorsque je maîtrise M&M, je trouve qu'il est compliqué de bâtir une narration cohérente à partir de trois choix. Dans Nephiloth, j'ai trouvé ça au dessus de mes forces, paralysant. Il y avait trop de choix à faire ET les items que j'avais proposé en tant que concepteur ne semblaient jamais coller aux situations que je devais résoudre en tant que MJ.

J'ai fait un premier pas dans la bonne direction grâce à la suggestion de mon bon génie Guillaume Jentey de découpler façon Dogs in the Vineyard (ou Démiurges) réussite vs échec d'une part, et retombées ou non d'autre part. Sauf qu'au lieu d'utiliser des retombées chiffrées, mécaniques et interprétables à posteriori comme dans ces jeux, je suis resté avec des complications en terme de fiction, qualitatives, et à interpréter tout de suite. J'en ai parlé dans le compte rendu précédent : le nombre de choix à faire était encore une fois trop important, d'autant que les contraintes exercées par les choix proposés se sont révélés non pertinent. J'avais gardé tous les défauts de mon resucé de M&M et ajouté quelques uns de mon cru.

Les bons conseils sur les Courants Alternatifs avaient commencé à me faire entrevoir le problème. Mon autre bon génie Frédéric Sintès l'a exposé en pleine lumière:
Pense aussi que tu peux toujours mécaniser les conséquences à base de jauges (ou de modificateurs). Parfois les vieilles recettes ont du bon, même Apocalypse World utilise des points de vie (améliorés, mais des PV quand même).
Ces deux phrases m'ont vraiment libéré. En effet, une jauge mécanique permet d'évacuer l'interprétation à plus tard, sans qu'il soit possible de s'y soustraire. L'interprétation en terme de fiction d'une jauge qui descend peut être immédiate "tu es blessé", "à la fin de votre conversation elle se lève de table, visiblement fâchée contre toi" ; ou différé "tu remarques que les passants t'évitent", "une voiture te suit depuis la gare". D'ailleurs, une jauge est d'autant plus efficace si ses niveaux se traduisent en terme de malus à certaines tâches. Là, l'interprétation en terme de fiction se fait naturellement : j'ai raté mon coup à cause de mon poignet endolori ; j'ai réussi à quitter la ville bien que je sois recherché par la police.

Mais fi de ces exemples génériques ! Quelles sont les jauges qui collent à Nephiloth ? Par exemple, il peut y en avoir une par arcane mineur : condition magique, condition occulte, condition profane et condition matérielle. Ça s'emboîte assez bien avec le système de résolution. Par exemple si on résout un rite de coupe et qu'on répond avec une lame d'épée, alors on reçoit une condition d'épée. On prend cette lame l'épée avec laquelle on vient de répondre et on l'ajoute à un emplacement sur sa feuille qui correspond à la jauge d'épée. Le nombre de cartes empilées sur la jauge donne la gravité de la condition. La prochaine fois qu'on voudra résoudre un rite d'épée, la plus haute carte de condition d'épée peut venir remplacer la lame d'opposition. Une condition d'épée correspond bien à un malus pour le rite d'épée.

Une fois arrivé là, je me suis dis que ma première idée de conditions magique/occulte/profane/matérielle ne collait pas forcément bien.
  1. Il était difficile de faire correspondre les 4 arcanes mineurs et les 4 types de conditions. Pourquoi le bâton serait lié à une condition occulte plutôt qu'à une condition matérielle ?
  2. Il était difficile de faire correspondre un type de condition et le malus qu'il apporte à un rite mineur donné. Pourquoi un condition matérielle apporterait un malus uniquement au rite de création et non au rite périlleux ?
Prenons donc le problème dans l'autre sens. Ce qui peut empêcher une Nephila d'accomplir un rite périlleux est une condition de bâton. Et puis pendant qu'on y est, c'est une chute de bâton. En effet, le message du jeu Nephiloth tourne autour de la chute, du traumatisme et du chemin vers sa guérison. Plutôt que de parler de blessure physiques ou magiques, parlons de niveaux dans différents types de traumatisme. Ce sont ces chutes psychologiques qui se dressent entre une Nephila et l'illumination.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila d'enquêter ? Sa paranoïa, le fait de se sentir observée, recherchée ou exposée au vu et au su de tous.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila d'affronter un péril ? Son angoisse, de l'inquiétude à la sensation d'impuissance.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila de palabrer ? Son syndrome de l'imposteur, l'impression d'être ridicule ou illégitime.
  • Qu'est-ce qui empêche une Nephila de créer ? L'angoisse de la page blanche, se persuader d'être incomprise ou dépourvue de talent.
On arrive ainsi à une nouvelle version du plateau/feuille de personnage avec 4 jauges dont chacun des 4 niveaux est qualifié par un adjectif existentiel. A chaque fois qu'on accumule une lame de chute, on l'utilise pour couvrir l'adjectif le moins pire de la jauge. On peut ainsi se retrouver au pire avec une Nephila qui se sent exposée, impuissante, illégitime et sans talent. C'est un état qui peut se traduire dans la fiction et qui apporte des malus à la mécanique de résolution.

Plateau de personnage de la roue de Fortune, avec les 4 jauges de chute.
Au passage, vous remarquerez qu'on a gagné des icones pour les 4 arcanes mineurs. Ca aide à la lisiblité.
Les règles de résolution de rite prennent déjà tous ces développements en compte. J'ai également ajouté une page pour expliquer la mise en place de la table de jeu et les chutes.


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