samedi 1 juin 2019

Compte rendu: mise aux enchères

Enfin un test sur table, avec son lot de critiques constructives.

C'était la suite du test troyen d'il y a trois mois, mais l'un des joueurs n'a pas pu être présent et un nouveau joueur nous a rejoint (grand connaisseur de Nephilim 2e édition).

Création de personnage rapide

Comme il y avait un nouveau joueur, il a fallu lui créer son personnage. On a fait ça en chat quelques heures avant la partie. L'époque commune était fixée par les joueurs de la dernière fois. J'ai pu la résumer en quelques phrases. Il a alors suffit de faire choisir l'archétype et l'arcane majeur. Ça a pris exactement 17min. Je pense qu'on a atteint le quart d'heure incompressible pour créer un personnage. Un joueur non initié prendra forcément plus de temps, même avec un tirage aléatoire de l'arcane.

Briefing

La partie a commencé par l'explication des règles de résolution. Je ne suis pas entré dans les détails du Mnémos, mais il a tout de même fallu que j'explique
  • La notion de rites (=manœuvre) car c'était le premier PbtA du nouveau joueur.
  • Le fait que j'étais en improvisation et que les joueurs avaient une large autorité sur la narration.
  • Le tirage des arcanes mineurs pour résoudre les rites.
  • Le choix, lors d'une réussite avec complication, de choisir soit la complication soit la réussite et que le MJ choisissait l'autre.
  • Le système des arcanes majeurs qui offre une réussite parfaite mais déclenche le Mnémos
  • Le système des symboles qui se chargent et se déchargent et la notion de réussite symbolique.
  • L'utilisation des plateaux de jeu/fiches de perso et des docs pour les cartes, l'archétype et les symboles.
Ce que j'ai oublié de dire ou que j'ai mal dit:
  • Préciser le contrat social du jeu, c'est à dire que c'était un jeu à énigme, mais que les énigmes n'étaient pas forcément décidées dès le début de la partie.
  • Dire que mon rôle était d'être le plus grand fan des personnages des joueurs, de les mettre en valeur, mais que pour ça je devais leur pourrir la vie.
  • Dire que pour l'intérêt de l'énigme je devais toujours avoir une longueur d'avance sur eux et leurs hypothèses, mais que je devais improviser afin de garder cette longueur d'avance tout en prenant en compte les éléments que les joueurs apportaient.
  • Si vous vous sentez plus à l'aise en prenant pour point de départ le monde de Nephilim, vous avez le droit, mais considérez que ce sont les certitudes de votre personnage et qu'elles ont toutes les chances de voler en éclat.
  • Un symbole n'a pas de sens en soit. Vous pouvez l'inclure dans votre narration sans avoir une idée préconçue de son sens. Le sens émergera de la récurrence du symbole.
  • Les réussites symboliques sont la magie. Donc vous pouvez décharger un symbole en décrivant un rituel magique effectué par votre personnage.
On s'est ensuite rappelé du contenu de l'époque commune, les joueurs ont présenté leurs personnages respectifs. On a décidé que les Nephiloth avaient le nom de leurs hôtes à l'époque de la guerre de Troie :
  • Pâris, Satyre du Jugement, incarné dans un contrôleur des impôts
  • Cassandre, Chimère de l'Hermite, incarnée dans une blogueuse adolescente en fauteuil roulant.
  • Énée, Naïade de la Papesse, incarné dans un libraire du Vieux Lyon

La partie

On a commencé par le rite d'Atlantis. Les trois joueurs ont tiré une lame supérieure à la mienne, donc on avait une réussite avec complication dans tous les cas. J'ai demandé au nouveau joueur (Énée), de gérer le rite afin qu'il se mette dans le bain. Après quelques hésitations, il choisit
  • Tu as acquis un objet énigmatique qui a été détruit ou subtilisé. A laquelle de tes sœurs avais-tu parlé de cet objet ?
On décide qu'il s'agit d'un livre du 18e siècle. Hors, Pâris s'est incarné au 18e siècle, il était le Marquis de Sade. On décide donc qu'il s'agit d'une bible qui a appartenu à Sade. Pâris est donc la Nephila à qui Énée a parlé.

Sentant que le joueur ne parvient pas à poser une scène lui-même (normal, je ne lui avait pas communiqué la réussite que j'avais choisi) je prend la main sur la narration. Il s'agit d'une vente aux enchères. Les objets sont préalablement exposés dans la gare des Brotteaux. Je note dans ma tête qu'à l'issu de la vente elle-même il ne devra pas obtenir l'objet. Mais je cadre la scène la veille de la vente, lorsqu'Énée en compagnie de Cassandre, effectue sa deuxième visite de la collection. Il remarque la présence d'un homme aux cheveux long et à la longue barbe qui était déjà là la première fois. Il s'agit de la réussite
  • Tu as pris conscience d’une coïncidence. Avec laquelle de tes sœurs échangeais-tu des informations ?
Remarquez que la question n'était pas forcément adaptée à la situation et que j'ai dû à la place imposer la présence de Cassandre.

Le joueur d’Énée veut en savoir plus sur cet inconnu. On gère son enquête par le rite de Rome. Plus tard, il me dira qu'il aurait voulu "passer en vision Ka", ce qui avec ce système correspond à une réussite symbolique. Mais l'information n'étant pas passée, on était de fait restreint aux réussites normales. Cassandre aide la manœuvre et ils obtiennent une réussite avec complication. Encore une fois, le choix entre complication et réussite est assez long, mais le joueur choisit la complication
  • Tu déranges une activité occulte
Et moi la réussite
  • Tu découvres un lieu ou un objet chargé
Les joueurs me laissent commencer à narrer mais interviennent en réponse à mes questions. L'inconnu est aux aguets, proche de la sortie. Deux hommes baraqués fendent la foule vers lui, bousculant une dame qui aidait Cassandre à franchir un obstacle avec son fauteuil. L'inconnu s'enfuit, Énée à ses trousses. Cassandre fait un scandale qui ralentit considérablement les deux hommes. Elle peut les prendre en photo qu'elle envoie directement à Pâris. Pâris remarque sur le cou d'un de ces hommes un tatouage d'une figure voilée. Symbole = voile.

Pendant ce temps, l'inconnu se laisse rattraper par Enée, lui tend un carnet en lui disant "ma sœur, je vous confie ceci" et disparaît.


Les deux hommes sont déjà loin quand Cassandre parvient à sortir de la gare. Elle lance sur son blog un défi à ses followers: retrouver deux hommes dans Lyon. On gère ça par un rite de l'hôte (sûrement le rite qui m'est apparu le plus adapté de toute la soirée) car c'est le savoir-faire de son personnage qui est mis en jeu. Le joueur me laisse décider de la complication et choisit
  • Tu impressionnes ton public
Le rite de l'hôte implique une réussite de l'action, donc le joueur de Cassandre décrit comment les deux hommes sont retrouvés et pris en photo alors qu'ils passent un voile pour entrer dans un immeuble des pentes de la Croix-Rousse. Le symbole du voile passe devant le joueur de Cassandre.

J'essaye d'enchaîner, mais le joueur de Cassandre me demande la complication. Certes, j'avais oublié. Je lui dit que la formulation sur son blog est trop facilement lisible "Je recherche des amis que j'ai connus à une autre époque". C'est la complication
  • Tu révèles contre ton gré ta véritable nature
Mais les conséquences ne sont pas immédiates, non plus que j'annonce vraiment une menace. Décidément, je suis trop gentil, ou pas assez pugnace, pour rendre important les choix des personnages.

A partir de l'adresse, Pâris enquête sur les registres des impôts. On hésite beaucoup. Il propose un rite de Rome, mais comme ce n'est pas sur le terrain je propose plutôt de résoudre ça par un rite d'Alexandrie. C'est le premier échec de la soirée. Néanmoins un rite d'Alexandrie apporte toujours au minimum "une information occulte parcellaire et peu détaillée". Il apprend donc que le local appartient à une association loi 1901 signalée par la Miviludes comme un mouvement sectaire. L'identité civile du gourou est inconnue mais il est surnommé Thot par les adeptes. J'oublie d'appliquer les conséquences qui doivent accompagner un échec. Les joueurs consultent le dictionnaire des symboles et décident que Thot est un Symbole, qui entre en jeu devant moi.

Là dessus, les PJs se retrouvent chez Pâris. Énée déchiffre le carnet. Il a été rédigé à la fin du 19e siècle par Heinrich Schliemann, le découvreur du site archéologique de Troie. On a rejoins ma préparation, donc je donne les bonnes feuilles de ce carnet aux joueurs. Le joueur de Pâris ouvre la page Wikipedia correspondante et y trouve plein de détails croustillants. Cette page est un document ajouté au Corpus, donc on tire un arcane majeur qui s'ajoute à la main des PJs : le Pape.

Cassandre empreinte la carte bleue de Pâris pour s'inscrire sur des sites payants de généalogie qui lui permettent d'en savoir plus sur la descendance d'Heinrich Schliemann. On résout ça encore par un rite d'Alexandrie, mais les réussites ne sont pas très adaptées. Mes réponses non plus d'ailleurs. Plutôt que de donner des infos sur la descendance de Schliemann je continue à réciter ma préparation en donnant des informations sur la maison que Schliemann a fait construire à Athènes et dont le toit était orné des statues des muses, jusqu'à leur disparition pendant la seconde guerre mondiale. Symbole=Muses. Pour ceux qui suivent les muses étaient déjà importantes lors de l'aventure précédente. Cassandre était d'ailleurs en stase dans la statue de la muse de l'Histoire qui décore le toit de l'Opéra de Lyon.
Le joueur avait choisi la complication
  • Tu deviens une proie facile
Et moi la réussite
  • Tu obtiens un symbole
Sauf qu'encore une fois je ne suis pas arrivé à mettre en place une menace crédible qui correspond à la complication.

Cassandre réserve immédiatement (grâce à la carte bleue de Pâris) des billets d'avion pour Athènes. Pour blaguer, le joueur de Cassandre ajoute qu'il a réservé des chambres à l'hôtel Ibis, car Ibis = Thot. Je dis bingo ! C'est exactement le genre de récurrence de symboles a priori dépourvu de sens que je veux. Le sens arrivera de lui-même plus tard. Le symbole de Thot passe donc devant le joueur de Cassandre.

Le joueur d’Énée aimerai dire que son personnage a connu le Voile Lumineux et Thot autrefois, quand il était incarné en Egypte. Je lui précise qu'il n'a normalement pas l'autorité pour le faire, sauf dans deux cas:
  1. si lors d'un rite il décharge un symbole pour choisir une réussite symbolique qui a trait au passé
  2. lors d'un Mnémos où il a toute autorité sur les souvenirs de son personnage. Le Mnémos se déclenche lorsque le joueur décide d'utiliser un arcane majeur à la place d'un arcane mineur tiré.
Je lui propose de jouer la vente aux enchères elle-même comme un rite d'Athène. Ainsi ça lui donnera l'occasion de déclencher l'un ou l'autre de ces effets. Le joueur décide de déclencher les deux. Aucun symbole n'étant encore chargé, il décharge son archétype, la Naïade. Il décide de décrire une coupe (symbole listé dans le portrait chinois de la Naïade) mise aux enchères juste après la bible de Sade. Je tire un deux de Denier, il tire une autre lame mineur mais la recouvre immédiatement par l'Hermite, en provenance de la main des arcanes majeurs. Il y aura donc Mnémos où seront présent la voie de l'Hermite et des Illuminés, mais avant ça il a droit à deux réussites dont une réussite symbolique. Il choisit
  • Tu fais douter.
  • Tu comprends les motivations profondes ou cachées.
Il explique qu'il attire l'attention de ses adversaires aux enchères pour l'achat de la Bible sur la coupe, les faisant ainsi douter. Je décris que son adversaire est une grande bourgeoise qui fait monter les enchères. Mais que ses intentions profondes sont d'obtenir la coupe et non la bible. Énée obtient la bible et la bourgeoise la coupe.

On gère alors le Mnémos. Le joueur d'Énée commence une narration à la troisième personne. Je l’arrête pour lui préciser qu'un Mnémos est forcément subjectif, commence par "Je me souviens", se termine par "C'est tout ce dont je me souviens" suivit par des questions des autres personnages auquel son personnage peut couper court en disant "J'ai oublié". Il décrit alors comment à l'époque de la bibliothèque d'Alexandrie, le Voile Lumineux était un groupement de Nephiloth, dont Thot, qui mettaient sous scellés dans la bibliothèque tous les documents portant encore trace des Nephiloth. Les Illuminés ont préféré détruire la bibliothèque, faisant ainsi disparaître toutes ces sources. Après quelques questions des autres joueurs, on interrompt le Mnémos.

Pâris n'a qu'une envie, c'est de savoir qui est la grande bourgeoise et pourquoi elle voulait cette coupe. Il décrit comment il s'approche du commissaire priseur avec sa carte professionnelle de contrôleur des impôts afin d'obtenir l'adresse de l'acheteuse. Il aimerait résoudre ça avec un rite de Rome. Il me semble que c'est un rite d'Alexandrie. Réussite avec complications. Il choisit la complication
  • Tu blesses l’orgueil
Et comme il n'y a pas beaucoup de choix qui correspondent, je suis bien obligé de choisir la réussite
  • Tu soutires une information
Le dialogue est joué, Pâris sous-entend que la provenance des objets est douteuse. Le commissaire-priseur se rebiffe et déclare que tout vient de la collection Théopoulos, un nom qui était mentionné dans le carnet de Schliemann. Pâris obtient aussi le nom de l'acheteuse.

Il est 22h55, on arrête la partie pour débriefer.

Debrief

Le debrief est intense est se termine à 1h du matin. J'en retiens plein de point positifs, mais je vais me concentrer sur les points à améliorer. Je m'appuie aussi sur des mails envoyés un peu plus à froid par les joueurs le lendemain.

Les deux points les plus discutés ont été
  1. Le peu de conséquences négatives des choix des personnages. En particulier, lors des échecs et des complications, ce qui s'explique par le manque de manœuvres de MJs et par ma difficulté à imposer des conséquences négatives. Mais plus largement l'impression que le choix d'une méthode d'action plutôt qu'une autre (source de roleplay) avait peu d'importance sur la fiction. Si je force le trait, notre partie quasiment totalement improvisée donnait l'impression d'être linéaire ou dirigiste.
  2. Mais quel est le contrat social du jeu ? Comment se concilie le plaisir intellectuel de la résolution d'énigme avec la narration partagée, avec un univers qui se crée de façon collaborative ? C'est une question que j'ai déjà évoqué ici, mais devoir défendre ma vision des choses en direct face à des contre-arguments m'a permis de bien préciser ma pensée. J'y dédierai un article dans les jours à venir.
Le premier point est aussi lié à une impression globale que le système de rite est inadapté, soit dans les détails (conséquences peu adaptables à la fiction), soit dans son principe de fonctionnement (trop de choix : choix du rite, choix réussite vs complications, choix de l'item dans la liste). J'avais déjà simplifié par rapport à Magistrats et Manigances, mais il va falloir encore simplifier, d'autant que ce n'est maintenant qu'un système parmi d'autres.

D'ailleurs, le système des symboles a été encensé. Les joueurs m'ont demandé plus de symboles, une lecture plus symbolique des tirages, etc. Les phrases rituelles en début de partie et pour cadrer le Mnémos ont été aussi très appréciées. Est-ce qu'il en faut plus ?

Les joueurs rapportent aussi les points suivants
  • La description des rites est compliquée à intégrer. L'idée de leur noms est plaisante au départ "rite de Rome" , "rite de Syracuse" mais ces noms ne renseignent en rien sur ce que les rites permettent de faire.
  • La probabilité de réussite parfaite est faible et il y a très peu de moyen de l'améliorer.
  • Le plateau de jeu est bien et très utile, mais il faut continuer sur les aides de jeu pour renforcer l'ergonomie. Par exemple, il faudrait une aide de jeu pour résumer les 4 arcanes mineurs.
  • Il faut aussi des aides de jeu pour le MJ afin de l'aider à gérer les résultats des rites, de lui donner une méthode pour gérer les conséquences négatives, de lui baliser l'improvisation des énigmes et le tuning d'hypothèses.
  • Si tout fonctionne par 4, pourquoi il n'y a pas 4 types de condition sur la feuille de personnage ?
Donc voilà, la planche est bien recouverte de pain et j'ai beaucoup de choses à penser.

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