J'ai commencé à jouer avec des jeux où beaucoup de fiction était créé au préalable. L'univers du jeu avait été écrit et publié. Le scénario avait été écrit et publié puis adapté par le MJ, ou bien le MJ avait inventé lui-même le scénario. Dans tous les cas, le MJ avait un énorme travail de préparation avant chaque séance.
J'ai aussi joué dans des groupes où on attendait un investissement important des joueurs : apprentissage progressif des grandes lignes de l'univers, invention et parfois rédaction d'un historique du personnage. Entre les parties il pouvait aussi y avoir une gestion des éléments de fiction propre au personnage : entraînement, royaume, recherche de savoir, etc. Ce travail de préparation des joueurs donnait au MJ une bonne idée des thèmes à explorer en jeu et de comment insérer les personnages dans son scénario.
Par contre, il est difficile d'assembler un groupe capable de fournir régulièrement un tel travail collectif hors partie. C'était difficile quand tout le monde était étudiant, c'est impossible quand tout le monde travaille et a des enfants.
De plus, à trop préparer à l'avance, on ne laisse plus rien à faire en partie et on s'embête. C'est ce qui se passe avec les scénarios linéaires par exemple, ou avec un plan d'attaque trop préparé à l'avance.
Un peu plus tard, pour éviter ces écueils, j'ai écris beaucoup de scénarios sur le mode "machine infernale". La situation initiale est prédéterminée, remontée à bloc, explosive, mais dès que la partie commence, tout est ouvert. C'est une construction qui marche bien pour les soirées enquêtes et les one-shot de convention. Les personnages sont alors créés en même temps que le scénario afin de bâtir cette tension initiale. Tout le travail créatif de préparation est reporté sur le créateur du scénario. Le MJ et les joueurs n'ont qu'à s'imprégner du matériel de jeu au préalable mais peuvent être pleinement créatifs en cours de partie. Quand le MJ est aussi le concepteur du scénario, on retombe sur le problème du temps disponible.
Plus récemment, j'ai beaucoup lu et joué à des jeux qui parviennent à faire rentrer une grande partie de la préparation dans l'espace du jeu lui-même. L'exemple extrême est Prosopopée où tous les participants peuvent arriver sans le moindre élément de fiction préparé à l'avance. Les personnages, la situation de départ, l'opposition et bien sûr la façon de résoudre les problèmes et de terminer l'histoire, tout ça se crée sur le moment autour de la table.
Libreté, comme la plupart des jeux basés sur Apocalypse World, permet de créer en commun les personnages, le cadre et la situation de départ de la première séance de jeu. Il reste un travail nécessaire de préparation du MJ entre les parties pour présenter aux joueurs une opposition cohérente avec les thèmes qu'ils veulent aborder, mais c'est minime par rapport à ce que demande un jeu de rôle traditionnel. Ces jeux parviennent à définir leur univers par une ambiance que par des faits.
Malheureusement, tous les jeux ne se prêtent pas à cet exercice de style. C'est en d'autant plus vrai pour les jeux basés sur une enquête ou la résolution d'une énigme. Là, il faut une collection de faits solidement établis au préalable pour contraster avec le mystère à percer. Si tous les termes sont flous, on ne sait plus où est l'inconnue que l'on recherche.
Un scénario d'enquête classique se situe dans un cadre fictionnel général supposé connu des personnages. Il propose une énigme composée de faits préétablis et des indices qui permettront en jeu de progresser dans la compréhension de l'énigme. Tout ça est généralement posé avant le début de la partie. Voyons ce qu'on peut amener dans la partie.
Une première étape est de ne pas prédéterminer les indices. Les faits de l'énigme étant connus par le MJ, il peut improviser des indices qui correspondent aux investigations des PJs. Pourtant, il sera difficile de ne pas prédéterminer le premier indice, celui qui va lancer l'enquête, celui qui va motiver les PJs à s'investir.
Magistrats et Manigances peut fonctionner comme ci-dessus, mais il propose aussi un autre mode de jeu. Le MJ peut prédéterminer des indices sans avoir prédéterminé les faits de l'énigme. Tout le monde joue donc pour percer l'énigme. Toutefois l'improvisation dans ce mode s'appuie sur un cadre fictionnel amplement décrit, celui du district de Sangyuan de la Chine de la dynastie Tang. Ce cadre est essentiel pour déterminer les conséquences des actions des joueurs. Ne l'oublions pas, résoudre l'énigme est certes au cœur du jeu mais n'est qu'un moyen pour mettre les PJs face à des décisions à prendre. C'est quand leurs décisions ont des conséquences sur le cadre de jeu que les dilemmes surgissent.
Les auteurs de M&M décrivent Sangyuan dans les détails, mais sur le long terme, le jeu prévoit que le magistrat change de district. Ce sera alors au MJ de créer le nouveau cadre de jeu. Sûrement par manque de place M&M ne comprend pas de règle de création de district. Sans un tel guide, la tâche de préparation semble énorme.
Pour alléger l'effort de création d'un cadre et des faits d'une énigme, Dogs in the Vineyard propose une procédure de création de ville. A défaut d'inclure la création du cadre dans la partie, cette technique réduit beaucoup les efforts nécessaires. J'aimerai pouvoir générer une bonne partie du cadre nécessaire à une partie de #NephilimNarrativoVegan à partir de telles méthodes procédurales.
En effet, la force de Nephilim n'est à mon avis pas son cadre fictionnel encyclopédique mais sa grille de lecture qui permet de générer un cadre fictionnel occulte à partir d'à peu près n'importe quels faits réels. "La réalité est un supplément pour Nephilim" comme le remarque Romaric Briand dans ce podcast (45'20s). Avec un peu d'effort de ma part, je devrais arriver dompter ce processus sous forme de procédure(s).
Pour cela, il faut séparer la grille d'interprétation, non négociable, et le cadre fictionnel qui lui est généré par une procédure à partir de la grille d'interprétation en fonction des envies des participants et donc va différer de table en table. Par exemple, la grille va définir le concept d'akasha:
Un akasha est un plan subtil, c'est à dire un monde hors de notre monde physique, généré par les rêves humains. Un akasha correspond souvent à une légende et est rattaché à un lieu physique qui évoque cette légende. Il existe une ou plusieurs portes, ouvertes ou fermées, qui permettent de pénétrer physiquement dans un akasha. Si l'akasha est peuplé, ses habitants n'ont pas vraiment de libre arbitre et répètent inlassablement les faits de la légende.Un élément de cadre fictionnel pourrait être
L'Odyssée raconte comment Ulysse s'est perdu dans les akashas de la mythologie grecque. Il est passé d'un plan subtil à l'autre pendant dix ans avant de parvenir à retrouver une porte vers le monde physique.De façon traditionnelle, ce fait pourrait être posé par le texte du jeu. Mais il n'aurait d'intérêt que pour les tables où au moins une joueuse s'intéresse à l'Odyssée, par exemple car son Nephilim a été Ulysse ou un de ses compagnons, aux akashas, ou à la mythologie grecque. A toutes les autres tables, ce fait ferait partie de la surcharge d'information que provoque un univers encyclopédique. A fortiori, l’utilisation par le MJ de ce fait alors que les joueurs n'en ont rien à faire risque de mener à une partie assez plate.
Ce que je dis, c'est que la grille d'interprétation de Nephilim est assez forte pour parvenir à générer l'univers à la demande. Et un univers généré en suivant des demandes de la tables sera forcément plus en phase avec des attentes des participants. Mais il faut des procédures pour rendre cette génération plus facile et garder une tension narrative.
La création de personnage est un moment privilégié pour écouter les envies des joueurs. Dans les éditions traditionnelles de Nephilim, les joueurs choisissent dans une liste fermée des époques d'incarnation où leur personnage a pu s'incarner. L'histoire invisible de chacune de ces époques est décrite en une page. Il y a également une liste de quêtes auquel le personnage a pu participer à l'époque. On a donc bien un cadre prédéterminé dans lequel les joueurs doivent insérer leurs personnages. Les choix qu'ils font renseignent indirectement sur ce qu'ils veulent voir en jeu.
Il y a quelques posts, j'ai suggéré une création de personnage sous forme d'un texte à trous. Par exemple trois paragraphes pour trois époques d'incarnation. Je proposais alors de faire une liste d'époques d'incarnation, une liste fermée. Après avoir passé mes soirées des 15 derniers jours à faire des recherches historiques pour écrire 8 époques sur la vingtaine prévue, je commence à voir se dégager une méthode que je pourrais transcrire en une procédure qui aurait sa place autour de la table de jeu.
MJ : A quelle époque voudriez-vous que votre personnage ait vécu ? Quelle époque vous botte ?
Joueur 1 : Je vois mon personnage comme un artiste. J'aimerai bien qu'elle ait vécu à l'époque des romantiques.
MJ : Du genre Victor Hugo ou Baudelaire ?
Joueur 1 : Oui, c'est ça.
MJ : OK. Je te laisse l'ordi pour que tu te renseigne un peu sur cette époque. Comme c'est au XIXe siècle en Europe, c'est l'apogée des sociétés secrètes et de l'ésotérisme. Essaye de noter tout ce qui te fais penser à l'occultisme. Regarde s'il y a une société secrète ou un projet inspiré par l'occultisme auquel tu aurais aimé participé ou au contraire t'y opposer.
Joueur 1 : Comme je suis du Bateleur, s'il y a une société secrète j'en suis forcément le gourou. Je cherche plus précisément.
MJ: OK. Et toi ?
Joueur 2 : Ca peut sembler bête, mais comme mon personnage est un sphinx, est-ce qu'il aurait pu être le modèle pour le sphinx à côté des pyramides ?
MJ : Ca serait super cool ! Comme c'est de l'antiquité très ancienne, on parle d'âge mythologique où les Nephiloth marchaient parmi les humains. Il y avait sûrement un pacte entre Nephiloth et humains pour que les Nephiloth puissent s'incarner, peut-être avec des Mystes impliqués. Le pacte peut être à l'avantage des Nephiloth ou quasiment les asservir aux Mystes. A ton avis quels étaient les termes les plus contraignants du contrat ? Je te laisse te renseigner sur l'époque de construction du sphinx et sur la civilisation Égyptienne à ce moment là, en particulier les structures de pouvoirs et la religion. Et toi ?
Une fois qu'on a au moins trois époques défrichées, chaque joueur essaye de voir ce que son personnage a pu faire à chaque époque. On a le texte à trous sous les yeux. On travaille époque par époque par ordre chronologique. Tout le monde peut faire des suggestions. En particulier, le MJ aider à placer les opposants ou alliés par rapport à la grille de lecture Nephilim.
Joueur 3 : Tu connais ma passion pour l'Inde. J'aimerai trop jouer à l'époque d'Ashoka.
MJ : Heu ... je ne suis pas un spécialiste comme toi. Tu peux m'en dire plus ?
Joueur 3 : Ashoka est le premier Empereur à unifier totalement l'Inde au 3e siècle avant JC. Il commence son règne de façon sanglante, mais ensuite il devient un prosélyte du bouddhisme. Il met en place un véritable police de moralité pour contrôler les bonnes mœurs de ses sujets.
MJ : Une façon de pourchasser les Nephiloth ?
Joueur 3 : Carrément ! Il a voulu nous exterminer de son Empire.
MJ : Mais du coup il roule pour qui ? Les templiers veulent exterminer les Nephiloth mais ils ne sont pas très fort pendant l'antiquité. Les Mystes sont plutôt derrières les cultes polythéistes. Je vois bien les Rose+Croix derrière le bouddhisme. La méditation tout ça, ça doit aider à développer le Ka Soleil humain.
Joueur 3 : Va pour Ashoka Rose+Croix. Mon perso peut être un Shivaïte ? Il se battrait aux côtés des Mystes contres les bouddhistes R+C.
MJ : Super. Je compte sur toi pour aider les autres à choisir leur place dans cette période d'incarnation.
Après la Chute, nous nous sommes retrouvés pour la première fois à Gizeh sous le règne de Khéops. Mon simulacre était l'architecte royal / le pharaon / une prêtresse d'Anubis. Nous cherchions à faire échapper Khéops au rituel que lui réservait les Mystes après la mort de son simulacre. Nos opposants principaux étaient les mystères d'Osiris. Mais j'ai dû faire alliance avec la Synarchie / les mystères d'Hathor (Septentrion) / Anubis (Aroura). Notre plus grande erreur a été de ne pas prévoir que le sable recouvrirait le sphinx après notre rituel. Personne ne sait ce qu'il est advenu des plans de la grande pyramide.
Plus tard, nous nous sommes retrouvés à Paliputra sous le régne d'Ashoka. Quand j'étais incarné dans une poétesse / une nonne bouddhiste / une ermite shivaïte. Mais nous nous sommes divisés à propos du message du Bouddha. Moi je pensais que c'était une bonne façon d’initier les humains / que ça permettait aux Nephiloth de maîtriser le Ka Soleil / qu'il s'agissait d'un piège des R+C. Nos divisions ont profité aux Rose+Croix. Et cette incarnation s'est terminé tragiquement par un coup de filet de la police de moralité qui nous à mise en stase une par une.
Nous avons suivit chacune notre voie à notre réveil à Londres en 1855.
- Moi j'ai cherché à initier Victor Hugo. Pour atteindre ce but j'ai passé un pacte avec des R+C. Mon simulacre était une spirite (Delphine de Girardin). J'ai regretté votre absence lorsque je me suis rendu compte que mon mari était Templier et que lui s'est rendu compte de ma nature.
- Moi j'ai cherché à combattre la société secrète de l'Aube Dorée. Pour atteindre ce but j'ai passé un pacte avec des Templiers. Mon simulacre était une lady. J'ai regretté votre absence lorsque les Templiers se sont retournés contre moi.
- Moi j'ai cherché à permettre aux assassins de Kali de s'infiltrer chez le colonisateur. Pour atteindre ce but j'ai passé un pacte avec les mystères de Kali (alliance Mystes de l'occident + Aroura). Mon simulacre était une ouvrière du textile. J'ai regretté votre absence lorsque mon simulacre fut envoyé au bagne en Australie.
Bon, il faut que je teste ça en vrai.
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