samedi 10 février 2018

Motivation

La motivation dont je veux parler, c'est la mienne. 

Elle a pris un coup dans l'aile après la seconde partie de test. Cette partie a confirmé que le gros problème technique a été résolu, permettant l’essor d'une fiction bien présente mais dont le contenu m'a déçu. Du coup je me suis demandé pourquoi je faisais tout ça si c'était pour créer un jeu fadasse qui n'avait rien à dire. Suis-je motivé uniquement par la nostalgie d'un jeu que j'ai beaucoup aimé il y a 15-20 ans mais sans rien avoir à lui faire dire ?

La motivation dont je veux parler, c'est celle du jeu. 

Quelle est la prémisse de #NephilimNarrativoVegan ? Admettons que je sois nostalgique, mais essayons de l'être de façon constructive. Pourquoi Nephilim me parlait à l'époque ? Quel sens pouvais-je trouver à ces parties pour qu'elles restent graver dans ma mémoire ? Il y a avant tout le jeu intellectuel qu'apporte une grille d'interprétation du monde attrape-tout. Comme les trois personnages principaux du Pendule de Foucault, on se sent à la fois plus intelligent que les conspirationnistes et on se prend à aimer raisonner comme eux, avec la même mauvaise foi, en plaçant l'analogie au dessus de la logique, le symbolisme au dessus des faits, la magie au dessus de la raison. Entre 16 et 23 ans, en pleines études scientifiques, c'était un point de vue qui me manquait. J'avoue que maintenant, raisonnable en toutes choses, scientifique jusque dans ma cuisine, j'ai toujours besoin de cette part de rêve. Et Nephilim était un jeu contagieux, du moins à notre table. Une fois la grille d'interprétation en tête, on ne peut plus visiter une église sans penser Nephilim, sans voir des symboles et de la magie partout. Cette contagion est une propriété émergente de Nephilim tel que notre table le pratiquait, son vide fertile, que je veux recréer dans Nephiloth.

Mais cette notion de vide fertile parle des participants du jeu, alors que la prémisse est liée aux personnages. Les personnages de Nephilim savent, ou sont capables de savoir, là où les profanes sont dans l'ignorance. Ils savent car ils ont été initiés, car ils étaient là autrefois quand tout s'est joué, ou bien par leurs efforts présents d'enquête. Mais le fait de savoir n'était pas la finalité d'une partie de Nephilim. Le véritable but du jeu était d'agir en fonction de ce savoir, de prendre des décisions, de se sentir responsable du monde car on savait. C'est peut-être ça la prémisse de Nephiloth :
De quoi le savoir nous rend-il responsable ?
Mais pour pouvoir donner une réponse à cette prémisse, les personnage doivent être plus épais qu'une feuille de papier. Les Nephiloth doivent pouvoir se positionner au sein du monde occulte. Elles doivent avoir des opinions qui relèvent peut-être plus de la métaphysique que des inclinaisons humaines, mais des opinions qui doivent être bien déterminées. Elles doivent avoir un passé, heureux, glorieux, honteux ou douloureux qui a forgé ces opinions. Elles doivent avoir des relations entre-elles et avec d'autres acteurs occultes qui déterminent avec qui elles vont pouvoir agir et contre qui elles devront lutter.

La motivation dont je veux parler, c'est celle des personnages.

Les joueurs m'ont fait remarqué dès la première heure de jeu de la première séance de test qu'ils ne savaient pas pourquoi leurs personnages devaient être intéressés par l'énigme que je leur proposais. Mais en bons testeurs, ils ont admis que leurs personnages étaient suffisamment curieux de nature pour entamer l'enquête. Il y a très longtemps en jeu de rôle "tradi" j'ai fais de même de nombreuses fois afin de faire démarrer un scénario à l'introduction pourtant indigente, en espérant que la motivation viendrait plus tard. Et en l'absence de cette motivation, le premier danger était suffisant pour que je fasse rentrer mon personnage au bercail. C'est exactement ce qui s'est passé à la fin de cette deuxième séance de test. "Ok MJ, je t'ai fais confiance jusqu'ici, mais là mon personnage vient de se faire trouer la peau et ne sait toujours pas ce qu'elle fait là. Maintenant qu'elle est de nouveau en sécurité, elle rentre chez elle et sort de ton histoire."

J'ai dû dire à peu près ça 3 ou 4 fois moi-même en tant que joueur. J'ai du l'entendre quelques fois aussi, mais ensuite j'ai retenu la leçon et une bonne partie de mon savoir-faire de MJ ou d'auteur de scénario consistait à provoquer l'engagement des personnages dans des histoires où ils étaient naturellement motivés. Bon, ça fait 12 ans, j'ai visiblement oublié la leçon, j'en m'en mors les doigts. A bien y réfléchir c'est sans doute à cause de cette sensation amère que je me suis démotivé.

J'ai clairement merdé en tant que MJ lors de ces tests. Mais en tant que concepteur du jeu, ça me permet de détecter une faiblesse du jeu lui-même. La création de personnage actuelle de Nephiloth permet d'obtenir une position du personnage dans le monde occulte, mais cette position est quasiment statique. Il n'y a pas de direction donnée, de motivation, de quête en suspens, de promesse non remplie, d'ennemis aux trousses, etc. Si en tant que MJ, j'avais eu ce genre d'éléments sur la fiche des personnages, ça m'aurait donné des prises pour mettre les personnages en mouvement.

Mon chantier prioritaire est donc maintenant de reprendre les sous-systèmes qui permettent l'initialisation du jeu. Il va falloir bien sûr réviser la création des personnages pour y introduire une direction, de l'instabilité. Mais il y a d'autres possibilités à creuser qui peuvent rendre plus intéressante et instable la situation de départ.

Je réfléchis à introduire quelque chose à créer en commun qui permette de personnaliser l'univers. Par exemple dans My Life with Master on crée ensemble le maître qui tyrannise les protagonistes. Dans Libreté on crée ensemble la géographie de Libreté et les factions qui l'habitent. Dans Magistrats et Manigances on crée ensemble le Magistrat. Dans Dream Askew on crée ensemble l'enclave. Dans Beyond the Wall la création de personnage permet en parallèle la création commune de notre village. Ces créations en commun permettent à chaque fois d'introduire des thèmes qu'on veut voir en jeu au delà de notre propre personnage.

Il faudrait aussi une façon de prendre en main les personnages. Dans Apocalypse World c'est la première partie qui roule sans préparation. Dans Dogs in the Vineyard c'est une scène par personnage qui montrent un enjeu personnel lors de sa formation. Dans Démiurges, c'est une scène solo en début de séance qui expose le personnage à un premier dilemme.


Reste à voir comment ces techniques peuvent se décliner pour Nephiloth.

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