Version de travail du jeu

dimanche 14 avril 2019

Rôle du MJ

Le rôle du MJ dans un jeu traditionnel


Si vous ouvrez le livre de base de Nephilim 2e édition (1996), la division des tâches entre MJ et joueurs est implicite. Il n'est jamais écrit noir sur blanc "Dans ce jeu, l'un des participants a une fonction différente de celle des autres. Il fait [...] alors que les autres font [...]". C'est ce qu'on appelle un jeu "traditionnel" dans le sens qu'il était nécessaire de connaître une tradition pour pouvoir y jouer. Il fallait soit avoir appris auprès de quelqu'un qui connaissait déjà Nephilim, soit décalquer des pratiques venant d'un autre jeu. Pour moi c'était un peu des deux : j'ai appris par tradition orale (merci Benoît, merci la mailing list Nephilim) et je me suis inspiré de conseils inclus dans des jeux auquel j'avais joué précédemment. Pour l'époque le Star Wars de West End Games (2e édition révisée) était vraiment très clair. Ambre, qui perturbait tout le monde à l'époque avec son système sans dé expliquait lui aussi assez bien ce qu'on attendait du MJ.


Pour rigoler, j'ai cherché où apparaissait les termes "Meneur de Jeu", "MJ" ou "scénario" dans les 400 pages du manuel.
  • A la page 17, première mention d'un meneur de jeu. Avant ça, le lecteur a dû comprendre par lui-même qu'il devait se créer un personnage en suivant les règles. On va lui exposer une liste de métamorphes possibles, mais s'il veut en inventer un autre, il peut en créer un autre "avec l'accord et l'aide du meneur de jeu"
  • p41: Quasiment la même chose, mais à propos des époques cette fois "avec l'accord de votre meneur de jeu". Visiblement le MJ est celui à qui on demande l'autorisation d'inventer.
  • p56: "De nos jours, si le Nephilim veut retrouver son ou ses refuges, cette recherche devra faire l'objet d'un court scénario, seul ou avec le groupe, selon les plans du Meneur de jeu." Donc il y a un scénario et le MJ est celui qui l'élabore. Le joueur peut être force de proposition, mais le MJ dispose. On apprend également au détour de cette phrase qu'il existe un groupe et donc a priori plusieurs personnages (et si on est pas trop de mauvaise fois, plusieurs joueurs). Un peu plus bas sur la même page, on apprend qu'on peut se coordonner entre joueurs pour créer des personnages qui se sont incarnés à la même période.
  • p98: "Avec l'aide du Meneur de jeu vous pouvez aussi déterminer la situation actuelle de votre Nephilim [...] Tous ces détails vous aiderons à mieux camper votre personnage mais aussi à fournir des pistes pour le meneur de jeu qui installera d'autant mieux son ambiance." Donc on devine que le rôle du joueur sera de camper son personnage et que le MJ a la responsabilité de l'ambiance.
  • p109: On explique le concept d'Ombre. Dans le cas d'un échec critique (notion alors inconnue) "le Mj prend le contrôle du personnage du joueur". Première abréviation de "Meneur de jeu".
  • p117: "Quatre règles sont donc utilisées tout au long du jeu de rôle pour simuler les actions des Nephilim ainsi que des autres personnages gérés par le Meneur de jeu." Donc le MJ a le contrôle de (tous les) PNJs.
  • p118: "Ainsi, lorsqu'il y a opposition, le Mj définit qui est actif et qui est passif".
  • p119: "le Mj peut demander un jet de caractéristique". Le MJ semble donc le garant des règles aussi ? 
  • p121-122: "Le Mj devra appliquer un fort malus". "Le Meneur peut aussi élargir la liste des compétences selon ses besoins." "Le Mj est tenu d'appliquer des malus et des bonus à chacune des compétences afin de simuler la relativité de la situation" C'est qu'il a un sacré pouvoir sur la mécanique ce MJ ! 
  • Je saute quelques pages de règles où les pouvoirs discrétionnaires du MJ sur la mécanique se renforcent toujours plus. On comprend sans que ça soit dit explicitement qu'il est le garant de la simulation. Aucune mention supplémentaire de son rôle ou de celui des PJs.
  • p299: Ça fait une centaine de pages qu'on semble être dans une partie du livre "réservée au MJ" mais sans que ça soit écrit nulle part. On parle de progression de l'Agartha. "Chaque scénario de Nephilim doit être conçu en fonction de ces différentes révélations [...] contenir entre 1 et 5 révélations." Ca tient en 5 lignes.
  • p301: A l'issu de l'aventure, pour chaque révélation potentielle, le meneur de jeu est invité à discuter [pour] savoir si les joueurs ont décelé l'importance de la révélation. Si oui, chaque Nephilim gagne [de l'XP] De plus le meneur de jeu peut attribuer [de l'XP] à un joueur qui est à l'origine de la découverte ou qui a joué son personnage en accord avec [...]" Donc le Mj est chargé de la correction des copies et attribue les bon points.
  • p370: Début du scénario qui enseigne par l'exemple ce qu'on attend d'une partie de Nephilim : "Une première partie décrit les grandes lignes du scénario, les événements et personnages importants, ainsi que l'histoire. Une deuxième partie décrit les lieux de l'action [...]. La troisième partie décrit en détail les événements auxquels seront confrontés les Nephilim. Enfin, la quatrième et dernière partie relate les conclusions possibles et les conséquences sur le monde occulte, et présente les différentes suites possibles à ce scénario". Franchement, ça tient la route.
  • p384: Sur une demi page, on explique comment créer un scénario pour Nephilim en suivant le plan ci-dessus. C'est une structure "bac à sable" assez classique mais qui a le mérite de ne pas être linéaire et de ne pas encourager le dirigisme (sans l'interdire pour autant). On explique aussi qu'un scénario contient trois couches: 
    1. la réalité profane aux "noms de rue inchangés" 
    2. les faits occultes de base issus de légendes ou d'ouvrages d'occultismes 
    3. la réalité Nephilim inspirée des textes de la gamme officielle.
Et voilà ! A partir de ça et de points de repère extérieurs, on doit deviner comment jouer, comment l'autorité se répartit entre joueurs et MJ, qui narre quoi, etc.

Alors bien sûr le tir a été corrigé dans les éditions suivantes. J'ai sous les yeux le kit Nephilim initiation (2004) qui commence par une définition d'un jeu de rôle :
C'est un jeu de société dans lequel les joueurs interprètent des personnages en train de vivre une aventure, tandis qu'une autre personne, appelée le meneur de jeu, se charge d'animer et d'arbitrer la partie. Lui seul connaît les ressorts de l'intrigue qu'il va faire découvrir aux joueurs. Il rythme les scènes, mélange action, enquête et dialogues animés avec les autres figurants de l'histoire. Chaque joueur s'efforce de jouer de façon convaincante son personnage et de participer à la résolution du scénario.
Ce même kit explique le principe de l'enquête ésotérique : déterminer la véritable nature des personnages de l'histoire plutôt que leur simple identité profane, et ce en analysant les symboles dont ils s'entourent. Il parle aussi de deux ambiances qui alternent dans le jeu: l'enquête façon Nom de la Rose et l'action à grand spectacle "digne de James Bond ou de The Matrix". Le scénario du kit a la même structure que celui de la deuxième édition.

Pour résumer, dans Nephilim, le MJ a la responsabilité de la cohérence du monde et a toute latitude sur les règles. Un joueur joue uniquement son personnage. Le MJ joue tous les personnages non joueurs. Le jeu est découpé en aventures. Pour préparer une aventure le MJ crée au préalable un scénario. Les joueurs peuvent proposer des idées de ce que veulent faire leurs personnages, mais le MJ décide au final. Il s'inspire de lieux réels, de l'histoire profane, des légendes et des théories occultes puis détermine seul quelle est la vérité dans son monde de Nephilim en s'inspirant du background officiel. Les joueurs ne connaissent pas cette vérité. Ils vont la découvrir avec leurs personnages au cours de l'aventure, ce qui va constituer des révélations.

Le rôle du MJ de Nephilim à Nephiloth


Est-ce que je veux reproduire cette structure là dans Nephiloth ? Est-ce ce que je veux la moderniser par petites touches ou dans sa nature même ?

Avec ce que j'ai déjà posé, le partage de l'autorité dans Nephiloth n'est déjà plus celui de Nephilim. Le troisième niveau, celui de la vérité Nephilim n'est plus défini par une encyclopédie de faits pré-écrits mais par une grille d'interprétation succincte.

De plus, dès le départ, les participants s'emparent de cette grille et créent en commun les grandes lignes de la vérité d'une époque passée. L'autorité du MJ sur la vérité du monde occulte n'est donc plus totale. Il doit composer avec cette création commune. Mais si cette autorité partagée s’arrête avec la création de personnage, en quoi est-ce différent d'un MJ qui doit composer avec une description du monde établie par les auteurs du jeu ? Et bien d'habitude, on ne joue pas avec les auteurs du background officiel à sa table, donc si on déforme leurs idées ils n'ont rien à dire. Le MJ de Nephilim était un adaptateur pirate jamais poursuivit. Le MJ de Nephiloth a les ayant-droit à sa table et a donc besoin de travailler dans la légalité. Il faut donc explicitement conférer au MJ le droit de réinterpréter les faits posés par les joueurs à la création de personnage, d'étendre leurs conséquences, d'inventer ce qui se faisait autour de ces faits sans que les PJs n'en aient eu conscience.

Une autre différence, c'est l'autorité totale qu'a la joueuse lorsqu'elle décrit le Mnémos de son personnage, c'est à dire un souvenir oublié qui remonte à la surface. Panique du MJ de Nephilim ! Comment une joueuse peut-elle ainsi passer outre sa permission ? Le MJ de Nephiloth lui se détend et prend des notes. La joueuse vient de lui fournir des faits passés sur quoi bâtir, de l'inspiration.

Oui, mais si le Mnémos narré par la joueuse entre en conflit avec une vérité posée par le MJ ? On se souvient alors que la mémoire d'une Nephila est défectueuse. Ce souvenir est partiel, partial, possiblement déformé par des blessures d'orichalque, voir réécrit par des rituels impies que la Nephila a subit depuis. Encore une fois, on donne au MJ le droit de manipuler l'information fournie par les joueuses. Il n'est pourtant pas question de nier frontalement l'apport de la joueuse, juste de l'étoffer, de le maquiller pour le rendre cohérent avec les vérités déjà posées. Et pour peu que ce maquillage soit bien justifié, qu'un tiers vienne beaucoup plus tard compléter le souvenir ou que le véritable souvenir ressurgisse, alors on crée une révélation qui propulsera le jeu. La vérité qu'avait prévu le MJ deviendra d'autant plus intéressante de par cette révélation.

Pour résumer, le MJ de Nephiloth a l'autorité de manipuler l'information fournie par les joueuses sans pourtant la nier et de fixer la vérité. Mais le MJ n'est pas obligé d'user ce ce dernier privilège dès avant la partie.

Improviser la vérité


Cette vision du MJ manipulateur d'information est fortement inspirée d'une proposition de Benjamin Kouppi, un des auteurs de Magistrats & Manigances. Il avait rédigé avant M&M un article pour le magazine Di6dent #11 sur l'enquête sans préparation (au sommaire "Aide de jeu: la lettre volée"). L'intégralité du numéro, dont son théma "on nous cache tout" sur le jeu de rôle à secrets, est disponible pour moins de 4€ en PDF, c'est donné. Cet article est la théorie, M&M en est l'application.

Ce que propose l'article c'est une méthode pour jouer à découvrir des secrets alors même que le maître de jeu ne les connaît pas quand le jeu commence. Le MJ commence par présenter des signes, des manifestations qui laissent présager un secret. Les joueuses, qui sont là pour jouer à un jeu d'enquête, s'y intéressent et lancent leurs personnages sur l'affaire. Elles recueillent des indices et ainsi formulent des hypothèses. Là, le MJ a deux rôles : poser des questions pour expliciter les hypothèses des joueuses, et trouver la bonne combinaison et altération de ces hypothèses qui va constituer la vérité. C'est seulement à cette étape qu'une vérité est déterminée. Cette vérité est peut-être encore provisoire, elle peut encore évoluer au gré de nouvelles hypothèses des joueuses, mais c'est une hypothèse de travail. Elle évoluera, sera altérée, mais ne sera pas niée. Ainsi, la vérité est déterminée par le MJ progressivement en cours de jeu.

L'argument que j'entends alors venant des joueurs habitués au jeu d'enquête: "Mais si c'est nous qui créons la vérité, il n'y a pas vraiment d'énigme. Où est l'excitation de la découverte ?"

Du coup, je répète que le MJ garde toujours une longueur d'avance par rapport aux joueuses. Sa méthode consiste justement à manipuler, à altérer les idées des joueuses, à leur rajouter ses ingrédients secrets, pour garder une surprise. Ce que les personnages trouverons à chaque étape sera ce qu'ils ont fini par deviner ... mais avec un twist !

Je vais détailler un peu cette méthode (tirée de l'article de Benjamin Kouppi) à parti d'un exemple. Les PJs ont commencé à enquêter à propos d'une série de disparitions qui se sont toutes avérées liées à une abbaye en ruine dont l'histoire est fortement liée à l'ordre Templier. Une série d'indices les a poussé à formuler l'hypothèse suivante : les victimes ont été enlevées par des Templiers qui cherchent à préserver un secret lié aux ruines. Voilà les options qui s'ouvrent au MJ pour créer une vérité à partir de l'hypothèse, avec à chaque fois un exemple d'application :
  • Surenchère : Les Templiers ont non seulement enlevés des curieux, mais ont pour but d’attraper des Nephiloth.
  • Soustraction : Les victimes ont bien été enlevées par des Templiers qui ont l'habitude de se réunir dans ces ruines, mais le seul secret était le lieu du rendez-vous.
  • Inversion : Les disparus sont en fait les Templiers partis à la recherche du secret des ruines.
  • Combinaison : Les victimes sont séquestrées par les Templiers dans l'Akasha qu'une des joueuses suppose lié aux ruines
  • Condition : Les Templiers n'auront accès au secret des ruines que s'ils arrivent à faire parler l'un des disparus qui en détient la clef.
  • Restriction : Les Templiers ont enlevé certaines victimes, mais d'autres se sont enfuies et les Templiers les recherchent activement.
Vous voyez, à chaque fois la vérité déterminée s'appuie sur l'hypothèse des joueuses mais en est assez éloignée pour ménager une surprise. Manipuler ainsi les hypothèses demande une petit gymnastique mentale au MJ, mais est-ce plus fatiguant qu'une préparation en avance ?

Bien sûr, l'usage de cette méthode peut se faire en combinaison avec une préparation plus classique. Par exemple, le MJ a creusé la couche 1 (réalité profane) et la couche 2 (les thèses occultes) mais laisse la couche 3 (histoire invisible) se créer de façon organique. Ou alors au cours d'un scénario en bac à sable préparé en avance de fond en comble avec ses 3 couches, les joueuses décident de se lancer sur ce qui était a priori une fausse piste. Le MJ peut décider d'improviser une réelle énigme à partir des hypothèses des joueuses, par exemple en la reliant à sa préparation. Cette souplesse d'improvisation a pour mérites de ne pas pénaliser les fausses pistes et de récompenser la créativité des joueuses.

Les autres rôles du MJ

Quel que soit le type de préparation, que la vérité émerge en cours de jeu ou soit posée avant la partie, le MJ ne doit pas faire de rétention d'information. Les indices doivent être découverts. D'ailleurs le système de jeu y incite. Le MJ doit accompagner les joueuses qui cherchent à valider leurs hypothèses. Le MJ doit valider ou proposer des scènes pour différentier le faux du vrai. Il doit aussi faire agir les antagonistes qui cherchent à préserver leurs secrets. Rien de tel qu'une menace pour signifier que les personnages sont bel et bien sur une piste et ainsi renforcer leur intérêt.

Est-ce que le MJ est responsable de l'ambiance ? Du rythme ? Oui, sûrement, mais les joueurs aussi, puisque l'autorité est partagée.

Enfin, n'oublions pas que dans un jeu d'enquête, en particulier Nephiloth où les personnages sont en quête de sapience, la compréhesion c'est la victoire. La force d'un antagoniste c'est sa connaissance exclusive d'un secret. Le révéler c'est vaincre.

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